Une patrouille de police à Bordeaux, le 1er septembre 2016. | MEHDI FEDOUACH / AFP

Tout a commencé en 2013, lorsque treize hommes français d’origines maghrébine et subsaharienne ont porté plainte pour dénoncer des contrôles d’identité qu’ils estimaient abusifs, car non suivis d’une quelconque poursuite judiciaire. Après avoir perdu en première instance en octobre 2013, les plaignants avaient interjeté appel, soutenus cette fois par le Défenseur des droits.

En juin 2015, la cour d’appel de Paris a donné raison à cinq d’entre eux, condamnant l’Etat à leur verser à chacun 1 500 euros de dommages et intérêts. C’était la première fois que la justice reconnaissait l’existence de contrôles au faciès et les jugeait illégaux. Les avocats et associations avaient, à l’époque, salué « une avancée du droit ».

Mais en octobre 2015, le gouvernement décidait, à la surprise générale, de se pourvoir en cassation pour les cinq dossiers dans lesquels il avait été condamné.

Mardi, c’était donc au tour de la Cour de cassation de se pencher pour la première fois sur ce genre d’affaires. Elle a ainsi examiné si, lors des décisions en appel, les règles de droit avaient été correctement appliquées, notamment la question de la charge de la preuve.

« Dangerosité de la zone »

Thomas Lyon-Caen, avocat des huit plaignants déboutés en appel, a rappelé au cours de l’audience la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Selon celle-ci, il ne revient pas à la personne qui dénonce une discrimination d’en apporter la preuve complète mais seulement un « commencement de preuve », a-t-il fait valoir. A la partie mise en cause d’apporter ensuite des « éléments ou des faits objectifs » prouvant qu’il n’y a pas eu discrimination.

Si l’avocate générale, Nathalie Ancel, s’est appuyée sur la même jurisprudence, elle n’en a pas tiré les mêmes conclusions. Sur les huit cas dans lesquels l’Etat a obtenu gain de cause en appel, Mme Ancel a estimé que trois jugements devaient être cassés. Pour les cinq autres, elle a considéré, en revanche, que l’Etat avait apporté des « éléments objectifs » pour motiver le contrôle, comme par exemple la « dangerosité de la zone » où celui-ci avait eu lieu.

Pour les cinq hommes qui avaient gagné en appel, l’avocate générale a demandé que la condamnation de l’Etat soit confirmée.

« On se sentirait plus français »

De son côté, l’avocate de l’Etat, Me Alice Meier, a considéré que l’existence de rapports et de statistiques prouvant que les personnes noires ou arabes étaient plus contrôlées que les autres ne suffisait pas à constituer un « faisceau d’indices graves, précis et concordants ». Elle a également fait valoir qu’il revenait à la personne contrôlée d’apporter des « éléments concrets, circonstanciés » prouvant que la motivation raciale était la seule motivation du contrôle.

A la sortie de l’audience mardi, l’un des treize plaignants, prénommé Régis, qui avait obtenu gain de cause en appel, a espéré que la future décision de la Cour de cassation puisse, au-delà de son cas, « changer les choses ».

« Ça me ferait mal que mes enfants subissent ce que j’ai subi. C’est humiliant de se faire contrôler à la vue de tout le monde en n’ayant rien commis », a-t-il expliqué. Avec une décision favorable, « on se sentirait plus français ». Le délibéré sera rendu le 9 novembre.