Des partisans du non au référendum sur l’accord de paix avec les FARC, dimanche 2 octobre à Bogota. | MARIO TAMA / AFP

Hier à portée de main, la paix en Colombie a du plomb dans l’aile. La victoire du non au référendum de dimanche 2 octobre a bousculé tous les calculs et les équilibres politiques. Par une courte majorité, les électeurs ont refusé de valider l’accord de paix signé avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, extrême gauche).

Au pouvoir depuis 2010, le président de centre-droit Juan Manuel Santos a tout misé sur la paix avec la guérilla. Il apparaît aujourd’hui fragilisé, face à son principal adversaire – et prédécesseur – de droite, Alvaro Uribe, qui revient en force. Aux yeux de nombre de ses compatriotes, M. Uribe redevient l’homme providentiel chargé de sauver le pays des affres du communisme.

M. Santos a fait savoir que la paix avec les FARC restait sa priorité. Le cessez-le-feu bilatéral n’a pas été rompu. Mais l’accord de La Havane, résultat de quatre ans d’âpres négociations menées à Cuba, se retrouve, lui, dans les limbes juridiques et politiques. Aucune issue à la crise ne se dessine à court terme.

« Pas de plan B »

Dès l’annonce du résultat du référendum, les FARC ont fait savoir que leur volonté de paix n’était pas remise en question. Selon un proche du gouvernement, « les négociations sont allées trop loin pour que les FARC puissent les rompre facilement ». L’entrée en vigueur du cessez-le-feu, le 29 août, avait permis aux guérilleros de commencer à déplacer leurs troupes, en vue de leur cantonnement dans les 27 zones dites de « normalisation » prévues dans l’accord de paix. C’est là que la guérilla devait rendre les armes et démobiliser ses combattants, sous la supervision de l’Organisation des Nations unies. Une rupture du cessez-le-feu serait catastrophique pour les FARC.

M. Santos avait dit et répété qu’il n’avait « pas de plan B » en cas de victoire du non. Lundi matin, il a installé la « Commission pour le dialogue national » promise la veille au soir. « Avec le soutien de tous les Colombiens et de sa majorité parlementaire, le président maintient ses prérogatives légales et constitutionnelles pour atteindre la paix », a souligné le président du Congrès, Mauricio Lizcano, en souhaitant que la Commission ait « une durée déterminée et des résultats concrets ».

Tous les partis politiques ont fait acte de présence, sauf le Centre démocratique, la formation d’Alvaro Uribe. Fort de son succès dans les urnes, l’ancien président a exigé et obtenu de dialoguer directement avec le pouvoir. Les adversaires irréconciliables que sont devenus MM. Santos et Uribe ont tous les deux désigné trois émissaires. Mais comment le dialogue qui s’ébauche entre les forces politiques à Bogota va-t-il s’articuler avec les tractations entre le gouvernement et les FARC, qui reprennent à La Havane ? Aucune réponse n’a été apportée.

M. Uribe semble avoir été, lui aussi, pris au dépourvu par la victoire du non. Il n’a pas encore expliqué comment il pense obtenir la renégociation de l’accord de paix, promise pendant la campagne. « Alvaro Uribe n’est que sénateur, il n’a pas la capacité institutionnelle de renégocier quoi que ce soit, considère l’analyste Ricardo Garcia. Et, politiquement, on peut se demander s’il en a envie. M. Uribe a les yeux rivés sur l’élection présidentielle de 2018. Les FARC “terroristes” lui sont plus utiles que des FARC légales. »

« Aucun effet juridique »

Lundi matin, le chef négociateur du gouvernement, Humberto De la Calle, a présenté sa démission au président, qui ne l’a pas acceptée. M. De la Calle et son équipe ont fait le voyage lundi soir à La Havane pour rencontrer les délégués des FARC. Rien n’a filtré sur le contenu de la rencontre.

Les FARC considèrent que l’accord signé le 26 septembre à Carthagène des Indes, en présence d’une quinzaine de chefs d’Etat et d’autres représentants de la communauté internationale, reste valable juridiquement et qu’il appartient au gouvernement de trouver une issue politique à la crise créée par la victoire du non. Selon Rodrigo Londoño, alias « Timochenko », « le scrutin de dimanche n’a aucun effet juridique, il n’a que des effets politiques ». Il doit donc entrer en vigueur.

« A court terme, on ne voit pas pourquoi les FARC accepteraient de renégocier, sauf à obtenir davantage », explique l’analyste Ariel Avila. Les partisans de la renégociation veulent que les chefs des FARC coupables de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité purgent des peines de prison ferme et qu’ils ne puissent pas participer en politique. L’accord prévoit des peines substitutives de huit ans maximum pour les guérilleros, mais aussi pour les militaires et les civils qui acceptent d’avouer les crimes commis en raison du conflit armé et d’indemniser leurs victimes. En outre, il octroie dix sièges au Congrès aux guérilleros démobilisés.

Présidentielle en 2018

Certes, le Congrès pourrait passer en force et ratifier l’accord de paix, mais le refus exprimé par une majorité des électeurs, aussi courte soit-elle, barre politiquement cette voie. Reste la possibilité d’une Assemblée constituante. Pour des raisons différentes, Alvaro Uribe et les FARC pourraient y être favorables. Mais M. Santos n’y a, lui, aucun intérêt. Dans tous les cas de figure, la paix avec les FARC est compromise durablement. L’enjeu de la présidentielle de 2018 pourrait encore compliquer les choses.

Au cours des dernières semaines, les chefs des FARC ont multiplié les gestes de confiance et de bienveillance. Personne, au sein du gouvernement, ne doute de leur volonté de paix. « Les chefs des FARC sont déjà démobilisés dans leur tête », résume Ariel Avila. Mais ils doivent maintenir le contrôle de leur base qui pourrait être amenée à douter des bienfaits de la paix, si celle-ci tarde trop.

Le non l’emporte lors du référendum sur l’accord de paix avec les FARC en Colombie
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