Jean-Claude Juncker et José Manuel Barroso, à Bruxelles, le 30 octobre 2014. | JOHN THYS / AFP

Les eurodéputés ont envoyé un message très clair à la Commission de Bruxelles, mardi 4 octobre. Réunis à l’occasion d’une plénière du Parlement européen, ils ont réclamé des mesures bien plus significatives contre les conduites de l’ex-président de la Commission pendant dix ans, José Manuel Barroso, et une de ses ex-commissaires, Neelie Kroes.

M. Barroso a annoncé au début de l’été son départ pour la plus grande banque d’affaires au monde, Goldman Sachs, déclenchant un tollé dans les opinions publiques européennes. Les Bahamas Leaks (Le Monde du 22 septembre) ont révélé que Mme Kroes, ex-commissaire à la concurrence, puis au numérique, a possédé des intérêts dans une société de ce notoire paradis fiscal sans l’avoir déclaré, comme elle en avait le devoir, en arrivant à Bruxelles.

Pierre Moscovici, le commissaire à l’économie et à la fiscalité qui représentait la Commission mardi, a tenté de défendre l’attitude de son président, Jean-Claude Juncker : « Il veut faire la lumière sur d’anciens membres de la Commission. C’est un engagement qu’il a pris. Et d’ajouter : Il a pris les mesures nécessaires qui étaient à sa disposition. Il a consulté le comité d’éthique ad hoc sur ces deux cas. Quand leur avis nous parviendra, la Commission les suivra et décidera des mesures à prendre. Le président Juncker s’engage à en tenir pleinement informé le Parlement. »

La femme politique néerlandaise, ex-commissaire européenne à la concurrence de 2004 à 2009, et ex-commissaire à la société numérique de 2009 à 2014. | JOHN THYS / AFP

Des élus qui réclament plus de sanctions

Son intervention a néanmoins déçu, les élus demandant des actions rapides et conséquentes, de la gauche à la droite de l’échiquier européen. « Il est choquant d’entendre de votre part que tout cela [les affaires Barroso et Kroes] ne relève que de la morale personnelle », lui a lancé la députée française Virginie Rozière, pourtant de la même famille politique que M. Moscovici (le parti social-démocrate européen). L’élue a réclamé, comme beaucoup d’autres, « un comité d’étique indépendant, une cooling-off period plus longue, et des sanctions plus lourdes » pour les commissaires qui ne respecteraient pas le code de conduite actuellement en vigueur à la Commission.

Ce code de conduite avait été révisé en 2011, sous Barroso d’ailleurs, et institué à l’époque l’obligation d’une cooling-off period [laps de temps entre la fin d’un mandat et la prise de responsabilité dans une entreprise] de dix-huit mois pour les commissaires. Au Parlement européen, mardi, les élus ont réclamé des périodes d’au moins trois à cinq ans, « la cooling-off period est beaucoup trop courte, les textes européens pour lesquels les commissaires peuvent faire du lobbying ont une durée de vie bien plus longue », a ainsi relevé Jean-Marie Cavada, du groupe des libéraux.

Actuellement, s’ils veulent partir dans le privé avant la fin des dix-huit mois réglementaires, les commissaires doivent consulter l’avis du comité d’éthique maison, composé de trois membres. Mais son avis n’est qu’indicatif, rarement public, et les membres du comité sont des fonctionnaires européens. Un manque d’indépendance et de latitude dénoncé à maintes reprises mardi au Parlement.

Le député vert Pascal Durand a même réclamé une « haute autorité indépendante » de contrôle des intérêts financiers des commissaires et des parlementaires. « Le départ de M. Barroso [pour Goldman Sachs] est grave parce qu’il s’inscrit dans une décennie de perte de légitimité de la Commission, vue désormais comme la défenseuse des intérêts privés. Qui imagine Jacques Delors [ex-président de la Commission] aller travailler pour des banques privées ? Il faut une autorité indépendante pour éviter que cette institution laisse ses membres être jugés par leurs pairs », a lancé l’élu.

Des scandales qui salissent l’Europe

Beaucoup d’eurodéputés ont aussi réclamé que la Commission saisisse la Cour de justice de l’Union européenne sur les affaires Barroso et Kroes, et tous ont déploré, à leur manière, des scandales qui salissent l’Europe : « C’est l’arbre qui cache la forêt » pour les eurosceptiques, prompts à dénoncer non seulement des cas individuels, mais un « système corrompu ». A l’opposé, l’europhile belge Philippe Lamberts (Verts) s’est interrogé : « Qui fait aujourd’hui le plus de tort aux Européens : les eurosceptiques ou les eurocyniques comme M. Barroso ou Mme Kroes ? »

Sven Giegold, un collègue allemand, vert lui aussi (ce parti a fait de la transparence un de ses chevaux de bataille à Bruxelles) veut aller plus loin pour « nettoyer » Bruxelles. Dans un rapport rédigé au nom de sa famille politique, en date du 3 octobre, il réclame de l’éthique et de la transparence pas seulement pour les commissaires mais aussi pour les eurodéputés. Il propose qu’ils soient soumis eux aussi à une cooling-off period de six à vingt-quatre mois, qu’ils signalent tous les rendez-vous pris avec les lobbyistes, rendent publics les textes, voire les amendements, déjà rédigés que ces derniers leurs envoient.

M. Giegold préconise aussi que le Parlement soit beaucoup plus regardant concernant les éventuelles rémunérations perçues par les élus, en plus de leurs compensations d’eurodéputés : il devrait être totalement interdit qu’ils soient rémunérés par des lobbies, rétribués pour des articles, des conférences, etc.

Pas sûr que tout cela fasse l’unanimité auprès des eurodéputés qui mettent souvent en avant leur nécessaire « liberté » de politiques.