« Flaming Creatures », de Jack Smith (1963). | DR

C’était il y a presque un demi-siècle. Avec ses drag-queens libidineuses qui se demandent s’il existe un rouge à lèvres suffisamment tenace pour perdurer après une fellation, ses scènes d’orgie débordant de caresses sexuelles en gros plan, ses vamps diaphanes se levant en silence des cercueils qui leur servent de couche, Flaming Creatures, de Jack Smith, a déclenché, à sa sortie en 1963, une bataille rangée. D’un côté les instances officielles, paniquées par le contenu licencieux du film, de l’autre ses défenseurs que fédéraient Jonas Mekas et sa revue Film Culture, au nom de l’art et de la liberté.

Ce film-collage tourné avec de vieux stocks de pellicule périmée qui suscita la plus vive admiration d’Andy Warhol, que Susan Sontag défendit avec fougue dans un essai de 1966, n’avait volontairement pas été présenté au bureau de la censure. Refusé pratiquement partout, il déclenchait en retour des manifestations de protestation spectaculaires, et lorsqu’on acceptait de le montrer, les projections étaient régulièrement interrompues par la police qui confisquait les copies, et embarquait au poste tout le petit monde de la contre-culture venu pour l’occasion.

Avec Scorpio Rising, de Kenneth Anger, et quelques autres films, Flaming Creatures allait devenir la pierre angulaire de l’iconographie « camp ». Sa projection sera un des temps forts des 21es Rencontres du cinéma documentaire de Montreuil, dont la programmation revient cette année sur le combat jamais achevé pour l’émancipation des minorités sexuelles (femmes, homosexuel(le)s, queers…), dans lequel le cinéma a toujours joué un rôle déterminant.

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Le charme du document d’époque

Sous le titre « Féminin-Masculin », le programme réunit des classiques comme Enquête sur la sexualité, de Pier Paolo Pasolini, Anatomie d’un rapport, de Luc Moulet, Domestic Violence, de Frederik Wiseman, No Sex Last Night, de Sophie Calle, Ten, d’Abbas Kiarostami, jusqu’aux Invisibles, de Sébastien Lifshitz, qui ont, chacun à sa manière, constitué des avancées notables dans la représentation des rapports entre les sexes et la remise en question de leur structuration traditionnelle. On pourra assister aussi à quelques avant-premières comme Madame B., histoire d’une Nord-Coréenne, de Jero Yun (présenté cette année à l’Acid), ou Dernières Nouvelles du cosmos, de Julie Bertucelli.

Aussi délibérément partielle et partiale soit-elle, la programmation souffre de quelques absences injustifiables, comme celle de Chantal Akerman et de son trop rare Je, tu, il, elle, chef-d’œuvre d’une puissance inégalée dans lequel la cinéaste se mettait elle-même en scène dans une longue étreinte charnelle avec son amante. Sur la sexualité lesbienne, on pourra voir les films de Barbara Hammer, cinéaste expérimentale militante homosexuelle à qui les Rencontres rendent hommage et dont les films ont le charme du document d’époque, témoignant de ce moment historique des années 1970 où les lesbiennes sortaient joyeusement du placard.

Rencontres du cinéma documentaire de Montreuil. Du 6 au 16 septembre, au Méliès, 12, place Jean Jaurès, 93100 Montreuil. Sur le Web : www.peripherie.asso.fr