Ce sont les grandes victimes de la crise. En Grèce, en Espagne et jusqu’en France, les jeunes ont du mal à trouver un logement, à commencer une vie autonome en dehors du foyer familial et à envisager sereinement l’avenir. En cause, un accès à l’emploi de plus en plus compliqué. Le sujet est suffisamment grave pour que la Cour des comptes s’en soit saisie dans un rapport rendu public mercredi 5 octobre. L’institution est revenue sur les mesures mises en place depuis plusieurs années pour faciliter l’accès à l’emploi des jeunes en France, et en a évalué les effets. Ses conclusions sont sans appel : à trop vouloir en faire, on ne fait pas bien. Ou du moins pas comme il faut.

« En réponse à l’enjeu politique que constitue l’accès des jeunes à l’emploi, de très nombreuses aides, mises en œuvre par des opérateurs multiples, ont été déployées, mais sans toujours obtenir les effets escomptés », écrivent les magistrats qui commencent d’abord par dresser un état des lieux de la situation.

Selon eux, il y a urgence : certes la précarité et les difficultés d’accès à un contrat stable ne sont pas un phénomène nouveau, mais elles se sont accentuées avec la crise de 2008. L’écrasante majorité des embauches concernant cette population se fait aujourd’hui en CDD, « dont deux tiers ont une durée inférieure à un mois », selon la Cour des comptes. Surtout, les jeunes ne sont pas à l’abri de retourner au chômage même après avoir travaillé quelques années.

Résultat, pointent les magistrats, ils sont parfois obligés d’accepter des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés. Et les problèmes ne s’arrêtent pas là : une fois employés, les moins de 25 ans ne le sont pas forcément sous les formes classiques. Ils sont ainsi les premiers à expérimenter les nouvelles formes de travail (loin du salariat classique) introduites par l’arrivée des géants des nouvelles technologies comme Uber et sont surreprésentés parmi les populations rémunérées au salaire minimum.

A ces difficultés structurelles s’ajoutent celles rencontrées par les jeunes déscolarisés assez tôt et habitant dans des quartiers sensibles. Pour eux, expliquent les magistrats, les obstacles sont deux fois plus importants. Au total, ils sont 750 000 à être en dehors du système, sans emploi, sans études ou formation.

Trop d’aides illisibles

Pour pallier le problème, la Cour le reconnaît, de nombreux dispositifs existent. Près d’une vingtaine pour un coût global de 10,5 milliards d’euros, dénombrent même les magistrats. Or, c’est justement là que le bât blesse, trop d’aides sont devenues, relèvent-ils, illisibles. Difficiles à mettre en œuvre correctement. Les résultats sont donc loin d’être à la hauteur des moyens déployés.

Ainsi, selon les magistrats, « ce sont quatre jeunes sur cinq dont les salaires bénéficient d’une aide publique tous les mois ». Parmi ces aides, des dispositifs d’accompagnement (garantie jeune, accueil décrocheurs…), d’apprentissage et de formations ainsi que des contrats aidés comme les contrats uniques d’insertion ou encore les contrats d’avenirs si chers à François Hollande.

Les magistrats ont observé les taux de retour à l’emploi de chacun d’entre eux et les résultats sont édifiants. A titre d’exemple, seuls 9,6 % des jeunes ayant bénéficié d’un accompagnement de Pôle emploi ont trouvé un travail à l’issue de leur prise en charge. Et même ce chiffre cache des disparités : les plus diplômés qui ont donc bénéficié d’un accompagnement moins intensif ont été 12,4 % à se placer correctement sur le marché de l’emploi. Les moins qualifiés, éligibles à un suivi renforcé, n’ont quant à eux été que 7,7 %.

Les résultats sont un peu meilleurs pour ce qui est des missions locales, mais reflètent la même dichotomie entre jeunes qualifiés et moins qualifiés, qui plus est issus de quartiers sensibles. 47,3 % des personnes suivies trouvent un emploi. Un taux qui retombe à 35,9 % pour ceux qui ont décroché des études et à 33,5 % pour ceux issus des « quartiers de la politique de la ville ».

« Lourdeurs administratives »

Pour ce qui est des contrats aidés, les magistrats pointent un effet d’aubaine. Pour eux, beaucoup d’embauches auraient de toute façon été faites. Selon la Cour, 47 % des nouveaux contrats signés dans le cadre d’un emploi d’avenir dans le secteur marchand l’auraient été. Prévus d’abord pour les publics les moins qualifiés, ces contrats peuvent aussi être utilisés par les employeurs pour embaucher un jeune ayant fait jusqu’à trois ans d’étude en zone rurale ou sensible. Mais, d’après les magistrats, les dérogations se multiplient. Un tiers seulement des emplois en question serait occupé par une personne issue d’un quartier sensible. « La sélectivité des dispositifs est insuffisante », conclut la Cour.

Autre problème pointé : la multiplication des acteurs supposés mettre en place les dispositifs. Gouvernement, régions, Pôle emploi, missions locales… Nombreux sont ceux qui doivent prescrire une formation ou un contrat aidé à un jeune. De quoi en perdre son latin.

En Normandie, la Cour des comptes a ainsi dénombré 26 instances compétentes en lien avec les jeunes demandeurs d’emploi ou les entreprises. Certains dispositifs (accompagnement, formation, mise en emploi et insertion) sont par exemple redondants et se retrouvent à l’identique à différents niveaux. « Les financements s’enchevêtrent et leur mise en œuvre engendre des lourdeurs administratives considérables », écrit la Cour, qui n’a pas manqué, comme à son habitude, de conclure son rapport par des préconisations.

Parmi celles-ci : une simplification administrative grâce à la mise en place d’une instance unique chargée du suivi de tous les dispositifs. Ainsi ceux qui en ont le plus besoin auront les formations les plus adéquates.