Documentaire sur Arte à 22 H 10

« The Train » (1975) - Romare Bearden | © Les Films d'Ici

Le regard que portent les Américains sur l’art noir a mis du temps pour évoluer. Pendant près de quatre-vingts ans, les musées lui ont fermé leurs portes, refusant de le voir ou de le considérer comme tel. Au « pays de la liberté », où, sur les 800 personnes déjà tuées en 2016 par la police, 33 % étaient des hommes noirs âgés entre 18 et 34 ans (ils constituent 12,6 % de la population), c’est cette longue histoire, cette longue marche, que raconte Noire est la couleur, une enquête très fouillée que propose Arte.

Comment définir une peinture noire ? Quel regard sur le monde ont porté ses artistes et qu’est-ce qui permet de les distinguer des autres peintres ? « Je pense que les premiers artistes avaient une obligation de lutter contre un torrent d’images négatives diffusées sur des affiches, des cartes postales, des bibelots ou des jouets, explique Richard Powell, historien de l’art à l’université Duke (Caroline du Nord). Ils devaient être à contre-courant de toute la culture populaire. »

La reconnaissance de l’art noir aux Etats-Unis est une histoire d’émancipation. Elle commence en 1865, date de la fin de l’esclavage aux Etats-Unis. L’art afro-américain va naître à cette période autour d’enjeux essentiellement politiques, comme le montre la sculpture Forever Free (« Libre pour toujours »), d’Edmonia Lewis. Cette œuvre en marbre blanc, qui montre un couple affranchi brisant ses chaînes, est la première d’une femme noire américaine. Elle est optimiste, mais à tort. Celles qui suivront le seront beaucoup moins, notamment lorsqu’à la fin du siècle les droits octroyés seront repris. Car après l’abolition viendra le temps de la ségrégation.

L’art noir apprécié et recherché

Avec leurs œuvres, les artistes noirs vont devoir rassurer, éduquer la société. En peignant La Leçon de banjo, qui montre un fils assis sur les genoux de son père en train d’apprendre à jouer de l’instrument, Henry Ossawa Tanner va montrer que les familles noires sont comme les autres. Elles ont des valeurs familiales et les traditions se transmettent. Au gré des périodes, l’art afro-américain se fera plus politique lorsqu’il dénoncera l’invisibilité des soldats noirs sur le champ de bataille, comme dans l’œuvre d’Horace Pippin, parti combattre en Europe. Sa toile The End of War (« La fin de la guerre ») fait apparaître des soldats blancs les bras au ciel, tandis que les Noirs, presque invisibles tant ils se confondent avec le paysage, gardent leurs armes à la main.

Le documentaire met toujours en parallèle l’évolution de l’art afro-américain avec les faits historiques. En 1939, il rappelle par exemple que Billie Holiday fut la première à chanter Strange Fruit (« Fruit étrange »), pour dénoncer le lynchage des Noirs par le Ku Klux Klan.

Un siècle est passé et l’art noir est aujourd’hui apprécié, recherché. Jean-Michel Basquiat (1960-1988) n’est plus le seul artiste africain-américain à être entré de son vivant dans les musées et les galeries prestigieuses. Les artistes Ellen Gallagher et Whitfield Lovell lui ont emboîté le pas. « Mais je ne crois pas avoir rencontré, parmi les artistes blancs que je connais, quelqu’un qui aurait ressenti le besoin de faire une œuvre qui parle de la condition blanche, affirme ce dernier. Ces gens peuvent simplement se contenter de faire de l’art. »

Noire est la couleur, de Jacques Goldstein (Fr., 2016, 55 min).