Theresa May, le 5 octobre à Birmingham. | PAUL ELLIS / AFP

A ceux qui l’avaient trop vite qualifiée de « nouvelle Thatcher » sous prétexte qu’elle est une femme, Theresa May a apporté un net démenti, mercredi 5 octobre, lors du discours clôturant le congrès du parti conservateur à Birmingham. Introduit par la chanson Come together des Beatles, le grand oral de la nouvelle première ministre a consisté en une longue plaidoirie en faveur de l’intervention de l’Etat pour contrer les inégalités sociales et amortir le choc du Brexit. Des tories, largement perçus comme le parti des nantis, elle entend faire « le parti des travailleurs ordinaires », pourfendeur des privilèges et promoteur d’une « grande méritocratie qui fonctionne au bénéfice de tous ».

La manœuvre politique est claire : tendre la main aux 37 % d’électeurs Labour qui ont voté pour le Brexit et, plus largement, aux électeurs travaillistes hostiles au tournant très à gauche pris par le parti de Jeremy Corbyn. Déniant au Labour « le monopole de la compassion », elle s’est réclamé des valeurs de solidarité et de refus des discriminations. « Vous savez comment certains l’appellent ? Le parti méchant », a-t-elle lancé, utilisant la célèbre expression « nasty party », qu’elle avait elle-même employée en 2002 pour qualifier les tories et les appeler à se moderniser. Mme May lorgne aussi sur les électeurs du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP, extrême droite), en pleine crise depuis la démission, dans la soirée de mardi 3 octobre, de sa présidente élue dix-huit jours plus tôt. Mais sur le UKIP et sa xénophobie militante, la première ministre n’a pas formulé la moindre critique.

« Défendre les faibles et résister aux forts »

Pour Theresa May, le Brexit offre l’occasion d’une « révolution tranquille », destinée à la fois à donner au Royaume-Uni « un nouveau rôle sur la scène mondiale » et à positionner les conservateurs « au centre de l’échiquier politique ». Renvoyant dos à dos « la gauche socialiste et la droite libertarienne », elle s’en est prise à ces « gens en position de pouvoir [qui] se comportent comme s’ils étaient plus proches des élites internationales que des gens qui vivent en bas de chez eux, qu’ils emploient ou qui passent dans la rue ».

« Si vous êtes un citoyen du monde, vous êtes un citoyen de nulle part. Vous ne comprenez pas ce que le mot même de citoyen signifie », a-t-elle lancé en dénonçant les sociétés qui esquivent l’impôt et les patrons qui font passer leurs dividendes avant la retraite de leurs salariés. « Voila pourquoi je suis ici : défendre les faibles et résister aux forts », a-t-elle proclamé sous un torrent d’applaudissements d’un public de gens bien mis.

Pendant le discours de Theresa May, le 5 octobre à Birmingham. | BEN STANSALL / AFP

La première ministre donne au vote pro-Brexit un sens « plus large » que celui d’un rejet de l’Union européenne (UE). Le résultat du référendum traduit, selon elle, le sentiment « profond » de beaucoup d’électeurs, selon lequel le monde fonctionne « pour quelques privilégiés et non pour eux ». C’est à cette exaspération qu’elle prétend répondre en restant à l’écoute des « simples travailleurs ».

Elle a raillé « les politiciens et les commentateurs qui ont été abasourdis par le fait que 17 millions de citoyens votent pour quitter l’UE, qui trouvent leur patriotisme dégoûtant, et leur inquiétude sur l’immigration, chauvine ». Prenant ses distances par rapport à son prédécesseur, David Cameron, elle se veut plus dure sur l’immigration, mais aussi plus sévère à l’égard des excès du capitalisme, annonçant une entrée des représentants des salariés dans les conseils d’administration et une lutte renforcée contre la fraude fiscale.

« Gouverner, c’est agir »

« Nous croyons dans les services publics et pensons que le gouvernement peut faire de bonnes choses », a-t-elle ajouté, tempérant l’ultra-libéralisme de mise chez les conservateurs et magnifiant le volontarisme. « Gouverner, c’est agir, c’est faire quelque chose, pas être quelqu’un », a ajouté la fille de pasteur anglican.

Elle qui n’a pas défendu le Brexit avant d’accéder au pouvoir le présente désormais comme une formidable opportunité d’écrire « une nouvelle page », une circonstance « qui nous appelle à nous mobiliser pour façonner notre pays une fois de plus ». « Suivez-moi, a-t-elle répété en une anaphore finale. Saisissons le moment ! ». Puis son mari, le discret Philip May, est monté sur la scène, lui a pris la main. La salle en liesse s’est levée. Theresa May, tout juste 60 ans, première ministre arrivée au pouvoir sans élection, a reçu l’onction enthousiaste du parti auquel elle adhère depuis l’adolescence. Oubliant sa guerre civile interne sur l’Europe, insouciant de la route cahoteuse du Brexit, le congrès s’est offert un long moment d’euphorie.