Jean-Marie Le Pen, au tribunal de Nanterre, le 5 octobre 2016. | PHILIPPE LOPEZ / AFP

Donner à une procédure civile austère et somme toute assez dérisoire le souffle d’une tragédie n’est pas un exercice aisé. La boursouflure menace l’orateur, l’ennui guette l’auditeur. L’affrontement entre l’avocat de Jean-Marie Le Pen et celui du Front national, mercredi 5 octobre devant le tribunal de grande instance de Nanterre, n’a échappé ni à l’une ni à l’autre.

L’affaire en cause est l’un des épisodes de la guérilla judiciaire que mène l’ancien président du Front national contre la direction du parti en général et sa fille Marine en particulier. Après avoir obtenu de ce même tribunal de Nanterre l’annulation de la délibération qui lui a retiré son titre de président d’honneur et les avantages afférents (bureau, statut et carte de crédit), et dans l’attente du procès en appel, Jean-Marie Le Pen demande à la justice de déclarer irrégulière la procédure qui l’a exclu du parti au terme d’un bureau national en août 2015.

Son avocat, Me Frédéric Joachim, a pour lui une voix, une langue soignée et ce qu’il faut de culture pour convoquer L’Œdipe de Sophocle, Les Frères Karamazov de Dostoïevski et, plus près de nous, l’écrivain américain Roy Lewis, auteur du best-seller Pourquoi j’ai mangé mon père. « Il s’agit d’un parricide évidemment, d’une exécution sommaire et d’une page de l’histoire de France que l’on veut tourner de force », assure-t-il sous les hochements de tête approbateurs de son client.

Références historiques

La suite est moins glorieuse qui enchaîne les jeux de mots – « Bureau exécuteur » pour « bureau exécutif » –, les références historiques outrancières – « purge stalinienne » –, les règlements de comptes vénéneux – les « sbires » de Marine Le Pen qui ont voté pour l’exclusion –, une pointe de mépris – « Et c’est ça qui veut gouverner la France ? » – et la nostalgie d’une époque où le Front national, dont Me Joachim rappelle qu’il est né il y a tout juste 44 ans, le 5 octobre 1972 « dans une petite salle de la Mutualité », était « une famille, une camaraderie et de bons dîners », loin de « la coterie d’ambitieux et de serpents froids » qu’il serait devenu.

La présidente, qui a tôt compris que les propos de l’avocat s’adressent en réalité bien moins au tribunal qu’aux journalistes assis sur les bancs du public, s’impatiente et, au bout des quarante-cinq minutes de temps de plaidoirie imparti, coupe l’avocat sans lui laisser le loisir d’une dernière envolée pour justifier les 2 millions d’euros de réparation auxquels prétend Jean-Marie Le Pen, pour prix du préjudice que cette exclusion porte « à sa renommée, à sa dignité, à son honneur et à son action politique. »

L’avocat du Front national, Me Georges Sauveur, n’a pas le talent oratoire de son confrère mais il ne veut pas être en reste de références historiques. Ironisant sur la démesure de la plaidoirie adverse, il évoque bizarrement les « vrais procès historiques qu’a été celui de Barbie ou de Nuremberg » avant d’égrener la longue liste de griefs qui a justifié, selon lui, l’exclusion de l’ancien président du Front national. L’heure tourne, Me Sauveur savoure d’avance l’effet de sa péroraison : « Le seul véritable motif de cette assignation, c’est qu’aujourd’hui, c’est Jean-Marie Le Pen qui est devenu un détail de l’histoire. » Le jugement a été mis en délibéré au 17 novembre.