Peut-être un petit eladorado pour les pétroliers, sûrement un nouveau combat pour les écologistes. La compagnie texane Caelus Energy a annoncé, mardi 4 octobre, la découverte d’un énorme gisement d’or noir dans une région reculée d’Alaska à l’écosystème particulièrement fragile. Entre 6 et 10 milliards de barils – dont 1,8 à 2,4 milliards récupérables – dormiraient dans les eaux peu profondes de Smith Bay, à 500 kilomètres au nord du cercle polaire, dans une zone où les compagnies s’avancent avec d’infinies précautions. Ce qui doublera presque les réserves prouvées de cet Etat (2,86 milliards de barils en 2014) et constituera la plus grande découverte de brut en Alaska depuis celle de Prudhoe Bay en 1967 (14 milliards de barils).

James C. Musselman, patron de Caelus Energy, avait fait d’autres découvertes importantes au large des côtes d’Afrique de l’Ouest quand il dirigeait d’autres petites sociétés pétrolières. Ses projets sont grandioses et controversés. Une fois extrait, il faudra en effet acheminer le brut sur deux cents kilomètres jusqu’à l’oléoduc Trans Alaska géré par le britannique BP. Ce pipeline transporte le pétrole extrait à Prudhoe Bay au nord de l’Etat jusqu’au port de Valdez au sud, sur près de 1 300 kilomètres. M. Musselman est prêt à investir 800 millions de dollars (715 millions d’euros) dans un « tube » sous-marin. Il a derrière lui le fonds d’investissement Apollo Global Management, avec lequel il a signé en 2014 un « partenariat stratégique » pour investir dans le « oil & gas » en Alaska.

Production de pétrole en Alaska
(en millions de barils par jour)
Source : Administration américaine d'informations sur l'énergie

Le coût de développement du projet pourrait atteindre 8 à 10 milliards de dollars et les premiers barils sortir à l’automne 2022, a précisé M. Musselman à l’agence Bloomberg. Il a toutefois prévenu qu’il faudrait un baril à 65 dollars (contre 50 dollars aujourd’hui), des incitations et une meilleure visibilité sur le régime fiscal décidé par l’Etat de l’Alaska.

Le gouverneur (indépendant) de l’Alaska a applaudi des deux mains. « Avec un oléoduc [Trans Alaska] aux trois quart vide, c’est une bonne nouvelle pour l’Etat, s’est félicité Bill Walker. Mon administration continuera à travailler avec l’industrie pour identifier de nouvelles opportunités de développements dans le secteur du pétrole et du gaz en apportant les incitations appropriées à l’investissement ». Le ton a radicalement changé depuis avril, quand M. Musselman lui reprochait de tuer les petites compagnies en augmentant les taxes.

Les hydrocarbures sont vitaux pour l’Alaska. L’exploitation de Smith Bay permettrait d’enrayer le déclin du gisement de Pruhoe Bay. Découvert en 1968, il avait atteint son pic de production en 1988. Deux millions de barils s’écoulaient alors chaque jour dans le Trans-Alaska, contre 450 000 aujourd’hui. Ils étaient stratégiques pour les Etats-Unis. Les deux cent mille barils qui pourraient en sortir chaque jour, selon Caelus Energy, le sont moins pour les Etats-Unis.

Quand la production de Prudhoe Bay a démarré, en 1973, les membres arabes de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) venaient de décider un embargo sur les livraisons de brut aux Américains jugés « suppôts » d’Israël dans la guerre d’octobre 1973. Les prix avaient alors flambé. Grâce aux pétroles de schiste (shale oil), les Etats-Unis ont fortement réduit leur dépendance aux producteurs étrangers, mêmes s’ils importent encore 8 millions de barils par jour (sur une consommation de 19,4 millions).

Une production compliquée

Dans les années 1970-1980, la pression des mouvements de défense de l’environnement était aussi moins forte. M. Walker se dit « certain qu’avec les exigences technologiques et réglementaires actuelles, ce sera fait en toute sécurité ». Les écologistes n’en croient pas un mot. Ils ont en mémoire la marée noire en Alaska causée par le supertanker Exxon-Valdez en 1989, et la fuite du Trans-Alaska en 2010-2011. Leur stratégie a consisté à bloquer les projets de pipelines pour empêcher, ou au moins retarder, le développement des gisements en amont. Caelus devra avoir tout le soutient du gouverneur de l’Alaska pour obtenir le feu vert d’une administration fédérale très tatillone sur ces projets. Surtout en cas d’élection d’Hillary Clinton à la Maison Blanche.

Même autorisée, la production sera très difficile, estiment les experts pétroliers. Y compris financièrement, puisqu’un baril coûtera 40 dollars à pomper et acheminer jusqu’au marché (avant impôts), estime Bloomberg. Avec l’effondrement du prix du brut, tombé de 114 à 50 dollars le baril en deux ans, mais aussi des campagne d’exploration décevantes, le géant anglo-néerlandais Shell a renoncé à poursuivre ses forages dans les zones les plus difficiles de l’Arctique après y avoir englouti 8 milliards de dollars. L’américain ConocoPhillips a suivi. En Norvège, au Canada, aux Etats-Unis et jusqu’en Russie, les campagnes des mouvements écologistes sont de plus en plus agressives. Et persuasives.

Les compagnies pétrolières et parapétrolières ont fortement réduit leurs investissements depuis deux ans. Et ce n’est pas ces projets très gourmands en capitaux qu’elles privilégient, attendant une nette remontée des cours pour s’y lancer à nouveau.