Livret de l’exposition The Color Line, au Quai Branly

Mardi 4 octobre, il ne restait plus rien du livret pédagogique distribué au Musée du Quai Branly la veille, lors du vernissage de l’exposition « The Color Line ». Intéressées par le sujet, les éditions Quelle Histoire, spécialisées dans les ouvrages historiques pour les enfants, avaient proposé de réaliser gracieusement ce fascicule. Lequel avait l’ambition de sensibiliser le jeune public à l’histoire des Africains-Américains en général et à la ségrégation en particulier. Or ce livret a choqué la plupart des invités, même ceux qui ne tarissaient pas d’éloges sur l’exposition elle-même. Lou Constant-Desportes, rédacteur en chef du site Afropunk, était présent. Tôt le lendemain matin, il publie un billet avec pour titre « Le musée du Quai Branly “apprend” aux enfants que certains esclaves avaient une vie “agréable” et que les discriminations raciales aux Etats-Unis se sont terminées en 1964 ».

Rencontré deux jours plus tard, le journaliste redit son inquiétude qu’un matériel pédagogique contienne autant d’imprécisions et d’erreurs. Dès la première page du livret, on pouvait lire au sujet des esclaves noirs aux Etats-Unis : « La plupart d’entre eux avaient été vendus par des Africains à des Européens puis emmenés en Amérique pour travailler. Ce commerce va durer du XVIIe siècle au XIXe siècle. Certains étaient très malheureux et maltraités, alors que d’autres avaient une vie plus agréable. »

Livret de l’exposition The Color Line, au Quai Branly

Minimiser le rôle des Européens dans l’esclavage

Traduit en anglais sur la version américaine du site Afropunk, le billet fait le tour des réseaux sociaux. Pour Lou Constant-Desportes, ce texte, affirmant que les Africains ont participé au trafic d’esclave, reprend un argumentaire très en vogue dans certains cercles politiques français qui tend à minimiser le rôle des Européens dans l’esclavage. « Je ne sais pas si c’est intentionnel, nous a-t-il expliqué. Mais ce n’est pas anodin. D’autant plus que juste après, on nous dit que certains esclaves avaient une vie agréable. La combinaison des deux affirmations est douteuse. Il manque aussi les termes d’oppression, de déracinement, de traumatisme. »

Tout en écrivant son billet, Lou Constant-Desportes contacte par mail les responsables de la communication du Quai Branly. Il reçoit une réponse en fin de journée, mardi. On lui explique que le livret a été retiré avant l’ouverture au public le 4 octobre et donc, avant même la publication de l’article sur Afropunk. Le document incriminé aurait été une version non corrigée, imprimée au cœur des vacances estivales quand les personnes en charge du dossier étaient absentes.

« Impossible qu’une telle exposition ne fasse pas débat »

Un des porte-parole du musée nous explique en fin de journée mercredi que, dès le soir du vernissage, des collaborateurs du musée ont également remarqué les formules malheureuses du livret et que son équipe a pris la décision de le retirer et d’en imprimer une nouvelle version. « Ce dont tout le monde convient, affirme-t-il, c’est qu’il est complexe de faire de la pédagogie sur un sujet aussi sensible même si c’est important de sensibiliser les enfants avec un discours adapté. Il y a eu un manque de vigilance lors de la relecture des dernières épreuves. C’est un concours de circonstance malheureux que nous déplorons. »

Contactée par mail, la maison d’édition Quelle Histoire déplore également « un concours de malheureuses circonstances qui a abouti à la non prise en compte de corrections lors de l’impression ». Sébastien Lucas, qui a suivi le projet, précise cependant que le livret a été préparé par un collectif de rédacteurs « qui travaillent habituellement pour Quelle Histoire », puis relu par l’historienne Patricia Crété, ancienne rédactrice en chef de la revue Historia.

Le Quai Branly célèbre ses dix ans

Au Quai Branly, on dit avoir pris en compte les remarques de Lou Constant-Desportes pour la nouvelle version du livret. « Nous-mêmes, nous sommes dans un positionnement de service public. Nous devons faire attention à ce que nous disons, à ne pas prendre position sur des sujets actuels mais à vraiment parler de l’histoire des Africains-Américains et de la ségrégation aux Etats-Unis. Qu’une exposition comme The Color Line ne fasse pas débat dans la France d’aujourd’hui semble impossible : parler de l’histoire de l’esclavage aux Etats-Unis, c’est parler de l’esclavage tout court ; évoquer la ségrégation aux Etats-Unis, c’est mettre en lumière les discriminations raciales et les luttes pour l’égalité qui ont toujours lieu à travers le monde. »

Le nouveau livret pédagogique de l’exposition « The Color Line », que nous n’avons pas pu consulter, est parti à l’impression mercredi soir 5 octobre.