Le président Alassane Ouattara, réélu pour un mandat de cinq ans en octobre 2015, a présenté, mercredi 5 octobre, devant les députés le projet de Constitution de la nouvelle République de Côte d’Ivoire. Après adoption par les députés à la majorité des deux tiers, le projet doit être soumis au peuple lors d’un référendum vers la fin du mois d’octobre. Elle consacrerait alors la IIIe République de Côte d’Ivoire depuis l’indépendance du pays, le 7 août 1960.

La Constitution de 2000 prévoyait notamment la création d’une Commission électorale indépendante, l’abaissement de l’âge électoral de 21 à 18 ans, la suppression du Sénat, ainsi que l’abolition de la peine de mort.

Pour Pascal Affi N’Guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI), principal parti d’opposition, le président Ouattara « n’a aucune compétence et aucun pouvoir juridique pour écrire cette nouvelle Constitution. Celle-ci doit résulter d’une concertation, d’un débat public et non de ses propres volontés. Il fait cavalier seul et cela n’est pas acceptable ».

  • Pourquoi une nouvelle Constitution maintenant ?

Présent aux Rencontres Africa 2016, qui se sont tenues les 22 et 23 septembre à Paris, Daniel Kablan Duncan, premier ministre ivoirien, est longuement revenu sur ce projet. « C’est un dossier important qui faisait partie du projet de campagne d’Alassane Ouattara. Notre pays a connu la stabilité, de son indépendance jusqu’en 1999, date d’un coup d’Etat. Ensuite, il y a eu une période troublée de 2000 à 2010, a rappelé le premier ministre, le plus long en fonction dans l’Histoire de la Côte d’Ivoire depuis sa nomination en novembre 2012. Nous sommes maintenant revenus à une période de stabilité. La réflexion des hommes politiques ivoiriens est de la préserver le plus longtemps possible, et c’est pour cette raison que ce projet de nouvelle Constitution a été rédigé. »

Côte d'Ivoire : une nouvelle Constitution pour "tourner la page des crises"
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La Côte d’Ivoire a connu une décennie de crise politico-militaire, marquée par une partition entre le Nord, aux mains de la rébellion, et le Sud, contrôlé par le camp de Laurent Gbagbo. La période d’instabilité évoquée par le premier ministre a culminé avec la crise post-électorale de 2010-2011, provoquée par le refus du président Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite et la victoire de son rival Alassane Ouattara à la présidentielle de novembre 2010. Ces violences ont fait plus de 3 000 morts en cinq mois.

« J’ai la ferme conviction que l’adoption de cet avant-projet va nous permettre de bâtir une nation plus forte, plus stable… réconciliée et en paix, a déclaré le chef de l’Etat devant 234 parlementaires présents sur 250, mercredi. L’esprit de cette Constitution est aussi l’occasion de tourner définitivement la page des crises successives que notre pays a connues. »

  • La fin de la notion d’ivoirité

La volonté de l’actuel gouvernement est d’en terminer avec le concept d’« ivoirité » qui a plongé le pays dans la guerre civile. Le projet de Constitution modifie notamment les conditions d’éligibilité à la présidence de la République, puisqu’il prévoit que le candidat doit être exclusivement de nationalité ivoirienne, né de père ou de mère ivoirien d’origine. La Constitution actuelle stipule « de père et de mère ». Les détracteurs et les opposants du président Ouattara lui ont souvent reproché d’être d’origine burkinabée.

  • L’élection d’un vice-président

Le projet prévoit la création d’un poste de vice-président, élu en même temps que le président. En cas de vacance du pouvoir, c’est lui qui garantira la stabilité et la continuité du fonctionnement de l’exécutif ainsi que le respect du calendrier électoral.

Les discussions sont en cours pour savoir si ce poste sera occupé d’ici à la fin du mandat de M. Ouattara. Si c’est le cas, le vice-président sera t-il nommé ? Ou bien élu ? Et si oui par qui ? « Ce poste de vice-président est une mascarade, s’emporte Pascal Affi N’Guessan. Il a été créé pour Henri Konan Bédié [82 ans, président de Côte d’Ivoire de 1993 à 1999], j’en suis quasiment certain. »

  • La recréation d’un Sénat

« Il est important de faire une chambre bicamérale avec un Parlement et un Sénat, soit deux institutions, a expliqué Daniel Kablan Duncan. C’est la sagesse de l’Afrique et c’est un élément important. Il l’est aussi de développer davantage les droits des citoyens pour leur assurer certaines libertés et certaines protections. » Mais, au sein de ce Sénat, un tiers des membres seront nommés par le chef de l’Etat.

« C’est évidemment un recul grave de la démocratie, déplore Pascal Affi N’Guessan. Le fait que le chef de l’Etat nomme des parlementaires s’apparente à un glissement vers un système monarchique. Dans ce projet de nouvelle Constitution, il n’y a pas un mot sur le renforcement de l’indépendance de la justice, un domaine important qui était au cœur des troubles que nous avons connus en 2010. Nul n’est censé ignorer qu’il n’y a pas de jeu démocratique équilibré sans une justice équilibrée. »

  • Plus de limite d’âge

Ce projet de nouvelle Constitution ne prévoit aucun changement en termes de nombre de mandat de président. Il est toujours de cinq ans renouvelable une seule fois. En revanche, il supprime la limite d’âge maximale de 75 ans pour être candidat. M. Ouattara, 74 ans, a été réélu pour un second mandat en octobre 2015.

« Je suis convaincu que ce point de la Constitution a été écrit pour que M. Ouattara puisse se représenter en 2020 », avance Pascal Affi N’Guessan. Selon l’ancien premier ministre de Laurent Gbagbo, l’actuel président pourrait même arguer du fait que le passage à la IIIe République remettrait « les compteurs à zéro » et lui permettrait de se présenter en 2020.

Il y a un an, quelques jours avant sa réélection, Alassane Ouattara avait démenti dans un entretien au Monde toute volonté d’allonger son bail à la tête de l’Etat ivoirien. « Si j’avais pu régler ce que j’avais à faire en un mandat, je n’aurais pas fait un second. Qu’est-ce que cela m’apporte ? Rien que de la fatigue. (…) J’aurais 78 ans en 2020, ça ne me vient même pas à l’esprit et, même si on me le demandait, je ne le ferais pas. (…) Je peux vous dire que je n’exclus pas de ne pas finir mon deuxième mandat », affirmait-il alors.