Justin Trudeau, le 24 août à Ottawa. | CHRIS WATTIE / REUTERS

Dans la foulée de la ratification de l’accord de Paris sur le climat par l’Inde et l’Union européenne, le Canada a lui-même rejoint le traité, mercredi 5 octobre au soir. Ce vote au Parlement intervient deux jours après la décision polémique du premier ministre Justin Trudeau d’instaurer une taxe carbone dès 2018. Une façon pour lui de montrer à quel point « le Canada est sérieux » dans ses intentions face au réchauffement climatique.

La motion portant ratification par le Canada de l’accord visant à contenir le réchauffement sous le seuil de 2 °C par rapport au niveau pré-industriel a été adoptée par 207 députés contre 81, tous élus du parti conservateur. L’accord de Paris sur le climat entrera en vigueur dans trente jours, le seuil des 55 pays requis pour la ratification du texte et représentant 55 % des émissions planétaires de gaz à effet de serre (GES) ayant été dépassé mercredi. Soixante-treize pays représentant près de 56,9 % des émissions de GES l’avaient ratifié en fin de journée.

Les émissions progressent à un rythme effréné

« Le monde entier se mobilise pour lutter contre les changements climatiques et on le fera sans les conservateurs », a indiqué le ministre des affaires étrangères Stéphane Dion, les accusant d’avoir bloqué le dossier pendant dix ans sous le règne de Stephen Harper (2006-2015). L’opposition néo-démocrate a voté pour, son chef Thomas Mulcair estimant que l’accord de Paris était le « dernier espoir pour mettre un terme à un problème qui est une crise potentielle pour l’humanité ». Il réclamait néanmoins de M. Trudeau davantage d’actions sur le front climatique et un objectif de réduction d’émissions plus ambitieux que celui fixé par son prédécesseur : une baisse de 30 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2005.

C’est là où le bât blesse, car le Canada aura déjà beaucoup de mal à atteindre cet objectif alors que les émissions progressent à un rythme effréné. Ottawa a d’ores et déjà renoncé à sa promesse de ne dépasser pas la cible initiale.

Taxe carbone progressive

En attendant de dévoiler en décembre son plan national de lutte contre les changements climatiques (qui reçoit l’approbation de 77 % des Canadiens, selon un sondage Nanos Research de septembre), M. Trudeau fait tout de même un premier geste en matière de taxe carbone, fixant son taux pour 2018 à 6,8 euros la tonne, pour atteindre progressivement 33,9 euros en 2022, applicable dans les provinces et territoires sans système comparable.

Certaines provinces sont déjà plus vertueuses que d’autres : les plus prospères, représentant 80 % de la population canadienne, font leur part. Le Québec a depuis 2013 un système de plafonnement et d’échanges de droits d’émission lié à la Californie, auquel se joindra l’Ontario en janvier. La Colombie-Britannique taxe ses émissions depuis 2008, à un taux de 20 euros la tonne depuis 2011, tandis que l’Alberta, province de « l’or noir », aura sa taxe de 13,6 euros au 1er janvier, avec hausse à 20 euros en 2018.

La Saskatchewan, grande productrice d’énergies fossiles, dans l’ouest du pays, y est par contre farouchement opposée. « Toutes les provinces doivent faire leur part », a précisé M. Trudeau lundi à Ottawa. Au même moment, à Montréal, quatre ministres de l’environnement des provinces et territoires (Saskatchewan, Terre-Neuve-et-Labrador, Manitoba, Nunavut) claquaient la porte d’une réunion, à laquelle participait la ministre fédérale Catherine McKenna. Il s’agissait, pour eux, de dénoncer une mesure aux allures d’ultimatum, alors que des négociations sur le plan national étaient en cours de plusieurs mois. Rétablir les ponts ne sera pas facile.

Autorisation d’oléoducs polluants

Dans le camp des critiques, on craint surtout que M. Trudeau ne souffle encore longtemps le chaud et le froid, oscillant entre sa volonté de réduire les émissions et celle de ne pas nuire à une croissance économique déjà anémique. Fin septembre, il donnait par exemple son aval au projet d’oléoduc de gaz liquéfié Pacific NorthWest LNG, dans l’Ouest. Coût : 36 milliards de dollars canadiens (24 milliards d’euros), avec 6,5 à 8,7 millions de tonnes d’émissions de GES par an à la clé. En Alberta et en Saskatchewan, les gouvernements comme le lobby pétrolier réclament aussi que l’Etat fédéral autorise d’autres grands projets de pipelines, afin de faciliter l’exportation du pétrole des sables bitumineux et la hausse de sa production.

Chez Greenpeace Canada, on relève que mettre un prix sur le carbone est « une bonne nouvelle » mais qui ne comblera pas plus du « tiers de l’écart entre la trajectoire actuelle des émissions et les objectifs de Paris ». Même son de cloche du côté de l’ONG québécoise Equiterre, où l’on estime qu’« à dix dollars la tonne, la taxe n’aura pas beaucoup d’impact sur une réduction des émissions ». Le pas est positif, mais « ce n’est qu’une pièce du puzzle », ajoute Josha MacNab, de l’Institut Pembina, un think tank canadien spécialisé dans l’énergie. Il faudra travailler dur pour élaborer un plan national assurant « une vraie transition vers une économie faible en carbone ».