Manifestation le 4 octobre devant la préfecture, à Belfort. | SEBASTIEN BOZON / AFP

Le secrétaire d’Etat à l’industrie, Christophe Sirugue, l’assure : le plan qu’il a présenté, mardi 4 octobre, pour l’usine Alstom de Belfort n’est « ni une décision électoraliste, ni une décision politique », mais un « plan alternatif ambitieux ». Les différents membres de l’exécutif, qui se sont expliqués sur le dossier, peinent pourtant à justifier cette importante commande publique.

1. Des trains surdimensionnés

Le ministre de l’économie et des finances, Michel Sapin, a justifié le choix de commander 15 trains à grande vitesse (TGV) pour une ligne Intercités qui n’est actuellement pas dimensionnée pour la grande vitesse.

Ce qu’a dit Michel Sapin

« De toute façon, sur cette ligne entre Bordeaux et Marseille, il aurait fallu acheter des trains. Est-ce qu’il vaut mieux acheter un train cher aujourd’hui qui sera dépassé dans cinq ou dix ans ou est-ce qu’il vaut mieux acheter dès maintenant le TGV qui roulera sur une ligne à grande vitesse dans dix ans ? »

Pourquoi c’est un mauvais calcul

Les trains commandés par l’Etat, en tant qu’autorité organisatrice des transports de trains Intercités, sont des rames à deux étages, conçues pour rouler à 320 km/h, alors que la ligne Bordeaux-Marseille est aujourd’hui limitée à 200 km/h. Ce n’est pas un problème en soi : le TGV roule à cette allure sur certains tronçons en France et ne devrait pas aller plus vite sur la ligne Boston-Washington, où Alstom a remporté un appel d’offres de la compagnie américaine Amtrak, comme le note Challenges.

Le vrai problème, c’est le surcoût : l’Etat va dépenser 30 millions d’euros par TGV, soit deux fois plus cher qu’une rame classique d’Intercités. Les TGV consomment aussi davantage d’électricité et leur exploitation coûte 30 % de plus.

Si l’on reprend le calcul de M. Sirugue, dans dix ans, la SNCF aura payé l’équivalent de trois ans d’exploitation de plus qu’avec des trains ordinaires.

Par ailleurs, le secrétaire d’Etat semble prendre pour acquis que les rames TGV seront utilisées pour la future ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse ou Montpellier-Perpignan à partir de 2025. Mais rien n’est moins sûr : la SNCF affiche une dette de 50 milliards d’euros et le réseau Intercités est en perte de vitesse (notamment les trains de nuit), ce qui pourrait bien compromettre la stratégie ambitieuse du « tout TGV » que le gouvernement présente aujourd’hui pour acquise. Un récent rapport sénatorial préconise de geler tout financement de la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse.

2. Des emplois sauvés au prix fort

Le secrétaire d’Etat aux transports se réjouit du nombre d’emplois préservés grâce aux commandes publiques réalisées par Alstom.

Ce qu’a dit Christophe Sirugue

« Nous avons trouvé un avenir industriel pour le site de Belfort et nous avons consolidé la charge de travail pour les autres usines du groupe. [Le plan pérennise] 1 500 emplois directs et 3 000 emplois indirects sous-traitants»

Pourquoi c’est cher payé

Pour arriver à ce chiffre de 1 500 emplois directs, M. Sirugue additionne les salariés de plusieurs sites fabriquant des TGV : Belfort (qui fabrique les locomotives) mais aussi La Rochelle ou Petit-Quevilly. En réalité, c’est surtout l’usine de Belfort et ses 400 emplois (sur les 480 du site) que le gouvernement veut absolument préserver, car elle est devenue un symbole de l’industrie française. Précisons de plus qu’Alstom n’avait pas prévu de détruire ces emplois par des licenciements mais de les transférer à Reichshoffen, en Alsace.

La préservation de ces emplois va coûter cher :

  • 450 à 500 millions d’euros à l’Etat pour les 15 TGV de la ligne Bordeaux-Marseille ;
  • 200 millions d’euros pour six TGV Paris-Turin-Milan, une commande qui était en cours de négociation entre Alstom et la SNCF (opérateur ferroviaire appartenant à l’Etat) ;
  • 30 millions d’euros pour une vingtaine de locomotives de secours payées par SNCF Réseau ;
  • 30 millions d’euros, financés par l’Etat, l’Ademe et Alstom pour développer un TGV de 5e génération…

Au total, le plan est estimé aux alentours de 770 millions d’euros. Même avec une estimation large de 1 500 emplois directs pérennisés, on arrive à un ratio de plus de 500 000 euros d’argent public investi pour chaque poste conservé. Si l’on considère que le plan vise uniquement la préservation du site de Belfort, on peut alors considérer que chaque emploi y a coûté 1,9 million d’euros (dont 1 million directement versé par l’Etat).

3. Une commande juridiquement risquée

Le président François Hollande a lui aussi assuré mercredi le service après-vente du dossier Alstom, en affirmant que l’Etat avait « pris ses responsabilités » pour « assurer la pérennité de l’entreprise ».

Ce qu’a dit François Hollande

« Quand l’Etat est absent, on met en cause son inertie ; et quand l’Etat est présent, on s’interroge sur les moyens dont il dispose pour assurer l’avenir […]. Les choix qui ont été faits, c’est d’assurer par la commande publique des plans de charges à des sites et à des entreprises qui en ont le plus besoin. »

Pourquoi c’est discutable

Assurer la pérennité d’un site industriel ou d’une entreprise est peut-être un objectif louable pour les hommes politiques, surtout en contexte préélectoral, mais ce n’est pas le rôle de la commande publique. Les règles des marchés publics sont pourtant claires et contraignantes : pour des contrats de cette importance, des appels d’offres doivent être lancés au niveau européen pour permettre une concurrence entre les entreprises, quelle que soit leur nationalité, basée sur le prix et la qualité du service fourni.

En vertu des règles européennes, on ne peut pas « flécher » un appel d’offres pour acheter français. D’ailleurs, pour venir en aide à Alstom, l’Etat s’est bien gardé de modifier des appels d’offres en cours passés par la RATP pour les RER de nouvelle génération ou par la SNCF pour les trains Intercités.

Comment l’Etat a donc pu commander tous ces TGV du jour au lendemain ? Grâce à un contrat-cadre passé en 2007 entre Alstom et la SNCF. Cet accord permet de débloquer rapidement de futures commandes de rames de train, sans passer à chaque fois par le lourd processus de l’appel d’offres.

Toutefois, juridiquement, Bruxelles pourrait considérer que la commande de TGV pour un réseau Intercités n’est pas logique et constitue une aide déguisée de l’Etat à l’entreprise Alstom.

4. Un interventionnisme qui ne peut pas tout

Pour justifier toute l’énergie et l’argent dépensés à régler le dossier Alstom, Michel Sapin, en visite au Mondial de l’automobile, a rappelé un précédent récent. En 2014, l’Etat a investi 800 millions d’euros dans le renflouement du constructeur automobile PSA (aux côtés du chinois Dongfeng), pour résorber la crise du secteur.

Ce qu’a dit Michel Sapin

« C’est une industrie qui se portait mal, très mal, il n’y a pas si longtemps. […] Des entreprises dont on disait il y a quatre ans qu’elles étaient vouées à disparaître, en tout cas l’une d’entre elles, elle est aujourd’hui en plein développement. L’Etat est intervenu à juste titre. »

Pourquoi c’est un mauvais exemple

L’Etat a bien aidé PSA en 2014, avec un certain succès puisque le groupe affiche désormais des bénéfices, mais deux ans avant, il n’avait pas réussi à sauver l’usine d’Aulnay-sous-Bois, qui employait 3 000 salariés et qui a fermé en décembre 2013. « Nous n’avons pas pu sauver Aulnay, mais nous avons sauvé Peugeot », a reconnu l’ancien ministre de l’économie, Arnaud Montebourg, dans l’Emission politique, en septembre.

L’Etat avait déjà montré son impuissance à empêcher une fermeture dans un autre dossier symbolique, celui des hauts-fourneaux d’ArcelorMittal à Florange. Et pour cause : de droite comme de gauche, le pouvoir politique n’a pas assez d’influence pour enrayer la dégradation de l’emploi industriel, qui est constante depuis trente ans.

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