« Non, je ne reconnais pas les faits », déclare Nicolas Jounin. Le sociologue de 35 ans, ancien professeur à l’université Paris 8, comparaissait jeudi 6 octobre, au tribunal de grande instance de Bobigny, pour « violences sur personne dépositaire de l’ordre public ». Les faits remontent au 28 avril : dans le cadre des mobilisations contre la loi travail, un policier chargé du maintien de l’ordre est « piétiné » et frappé par un manifestant près du carrefour Pleyel, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Un homme est interpellé, Nicolas Jounin, et le policier blessé reçoit une incapacité totale de travail d’un jour.

Dans le procès-verbal dressé le 28 avril par le commissaire de police, l’homme qui aurait agressé le policier est décrit ainsi : « Taille moyenne, calvitie partielle ». Si l’accusé se reconnaît dans la description faite, la défense tourne justement autour de cette « calvitie » : Nicolas Jounin portait un bonnet ce matin d’avril. Non pas pour cacher son identité aux policiers comme d’autres manifestants, précise son avocat Raphaël Kempf, mais pour se « protéger du froid » ; des photos et un bulletin météo ont été déposés dans le dossier pour le justifier. Pour Me Kempf, le commissaire aurait décrit a posteriori un manifestant interpellé au hasard dans la bousculade, son client.

A la barre, la victime indique qu’elle n’a pas vu son assaillant et n’a retenu de lui qu’un « sacré gabarit ». « Pensez-vous que Monsieur Jounin est un sacré gabarit ? », demande, amusé, MKempf au policier. Le sociologue, de « taille moyenne », et le policier, très grand, sont presque côte à côte : devant leur différence de taille, la salle ne peut s’empêcher de rire. Le policier, qui n’a pas voulu se porter partie civile, admet qu’il ne pourrait pas reconnaître son agresseur. Le commissaire de police, celui qui a formellement identifié Nicolas Jounin comme l’auteur des violences dans les deux procès-verbaux qu’il a dressés, n’est pas venu au procès.

L’accusé regrette un « réquisitoire très sévère »

Derrière le policier, la salle est pleine, remplie d’anciens étudiants, d’amis, de collègues et de syndicalistes, tous venus soutenir Nicolas Jounin. A la barre, trois manifestants du 28 avril témoignent tour à tour : l’un est enseignant, les deux autres inspecteurs du travail. Comme Nicolas Jounin, ils approchent de la quarantaine, travaillent dans le « social » et sont engagés dans différentes luttes : contre la loi travail, ou pour la défense des sans-papiers. Loin du groupe « enragé » et « violent » dépeint par la procureur, l’avocat de la défense cherche à dessiner un même profil, plutôt engagé mais « pacifiste ».

Me Kempf présente son client comme « un sociologue et écrivain » qui, par ses travaux et ses actions, a toujours tenté de « rassembler des mondes ». Le matin du 28 avril, Nicolas Jounin était parti distribuer des tracts, pour « informer des ouvriers » de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), avant de rejoindre une assemblée générale à Saint-Denis. Au premier rang, comme pour confirmer l’image de l’intellectuel engagé, un homme tient un exemplaire dédicacé de Voyage de classes, un des ouvrages du sociologue.

En sortant de l’audience, l’accusé regrette un « réquisitoire très sévère » et « outrancier ». Si l’avocat a plaidé la relaxe, la procureur a réclamé huit mois avec sursis, en demandant aux juges de faire preuve d’une « particulière sévérité ». Devant la centaine de soutiens massés sur le parvis du tribunal, Nicolas Jounin prend le micro pour raconter la séance à ceux qui n’ont pas pu entrer dans la salle. « [La procureure] disait en ouverture respecter le droit de manifester, mais c’est justement à ce droit qu’elle s’est attaquée », lance-t-il sous les applaudissements. Le jugement sera rendu le 3 novembre.