Emil Kostadinov célèbre son but face à la France (1-2) qui envoie la Bulgarie à la Coupe du monde 1994 et élimine les Bleus. | PASCAL GUYOT / AFP

C’est évidemment lui, le véritable responsable. C’est lui qui appelle la passe de son coéquipier, Lubos Penev. C’est lui qui se défait d’Alain Roche et qui emmène le ballon. C’est lui qui frappe juste avant que Laurent Blanc ne s’écrase au sol pour l’en empêcher. C’est lui qui fusille Bernard Lama. C’est lui, Emil Kostadinov, qui qualifie son pays, la Bulgarie, au dépend de la France, pour la Coupe du monde 1994 aux Etats-Unis.

Ce 17 novembre 1993, Emil Kostadinov n’a pourtant pas de raison de faire trembler les Bleus et leur armada offensive. Cantona forge sa légende à Manchester, Jean-Pierre Papin, Ballon d’Or 1991, enchaîne les titres nationaux (4 avec l’Olympique de Marseille, 1 avec le Milan AC) et David Ginola est en pleine bourre au PSG, avec lequel il sera champion de France en fin de saison.

Côté bulgare, c’est plutôt sur Hristo Stoitchkov que les regards se posent. Le numéro 8, membre de la « dream team » de Johan Cruyff, qui a remporté la première Ligue des Champions de l’histoire du FC Barcelone en 1992, avait déjà marqué lors de la défaite française au match aller (2-0). A ses côtés, Kostadinov donc et Penev. Les trois attaquants ont passé cinq saisons ensemble (6 pour Kostadinov et Stoitchkov) au CSKA Sofia entre 1984 et 1989. Avec eux, le club a remporté trois fois le championnat bulgare et quatre coupes nationales.

Ginola dans les tribunes

« Kostadinov, on le connaissait de nom mais c’est tout. Le foot était moins médiatisé. On savait quand même qu’il était rapide, donc on n’avait pas de raison d’être surpris. » Jean-Luc Dogon peut se permettre de dire « on ».

Le défenseur central des Girondins de Bordeaux aurait dû être sur la feuille de match ce soir-là. « Je devais être remplaçant mais je me suis blessé la veille. On a fait un test avant le match et j’ai préféré ne pas prendre de risque au cas où je devrais rentrer relativement tôt. » Dogon déclare forfait mais il faut bien le remplacer : « D’après ce que j’avais compris, c’est David [Ginola] qui devait être en tribune. » Tant pis pour Dogon, tant mieux pour Ginola. Quoi que. « Si j’avais joué, peut-être qu’on aurait perdu sur un plus gros score, peut-être qu’on aurait gagné. On ne peut pas savoir. »

Sur la pelouse du Parc-des-Princes en tout cas, Emil Kostadinov sait ce qu’il a à faire. Malgré la domination de l’équipe de France, le joueur qui évolue alors au FC Porto devance Emmanuel Petit sur un corner à la 37e minute. Tête et but, la Bulgarie égalise cinq minutes après l’ouverture du score française d’Eric Cantona. « On a senti alors que la terre se dérobait sous les pieds des Français », se souvenait Kostadinov dans le reportage d’Intérieur Sport de novembre 2013.

Le poids d’Israël

Et pour cause, un mois plus tôt, les Bleus recevaient Israël. Avec aucune victoire et seulement deux points de pris depuis le début des éliminatoires, l’adversaire de l’équipe de France n’avait rien d’effrayant. Jusqu’à la 85e. Les Israéliens égalisent (2-2) puis inscrivent un troisième but dans les arrêts de jeu. La France, qui n’avait qu’un seul point à prendre en deux matchs pour se qualifier, n’a plus le droit de perdre contre la Bulgarie.

1993 (October 13) France 2-Israel 3 (World Cup Qualifier).avi
Durée : 06:50

En deuxième mi-temps, Franck Sauzée et sa bande continuent de dominer les débats, sans parvenir à faire trembler les filets une seconde fois. Et ce qui ne devait pas arriver arriva. Centre raté de Ginola. En trois passes, les Bulgares lancent Kostadinov, qui fait le reste. Accélération, contrôle et mine sous la barre. Pas besoin de chercher à comprendre l’intention de Ginola, le placement de Pedros, la réaction de Roche ou l’anticipation de Blanc, Kostadinov a éliminé la France à lui tout seul, d’un coup de tête et d’une frappe du droit.

« J’ai simplement vu la cage. Cela faisait longtemps que je jouais au football et à cet endroit de la surface, je savais où était le but, j’ai juste tiré. Dans chaque but il y a une part de chance », affirmait Kostadinov, toujours dans Intérieur Sport.

FRANCE - BULGARIA 1993
Durée : 07:06

Agression sur Lizarazu

Jean-Luc Dogon qui n’avait donc pas affronté Kostadinov à Paris, le fera trois ans plus tard au Parc Lescure de Bordeaux. Les Girondins sont en finale de la Coupe UEFA face au Bayern Munich. Battus 2-0 lors du match aller, les coéquipiers de Zinedine Zidane se ruent à l’attaque sur leur terrain. A la 30e minute de jeu, Bixente Lizarazu tacle le ballon, Kostadinov est en retard et vient s’essuyer les crampons sur la jambe du latéral gauche bordelais. « Pour moi c’était clairement volontaire, se rappelle Jean-Luc Dogon qui évolue en charnière centrale. C’est une agression, c’est méchant. Sur cette action, il a réussi à faire ce qu’il voulait. »

Pour l’actuel entraîneur des U19 des Girondins, Kostadinov était « un joueur technique, rapide, mais avec une mentalité un peu tordue. C’était typique des joueurs de l’Est de l’époque. On était content quand on en avait un dans notre équipe mais quand on jouait contre, c’était plus agaçant. »

Kostadinov et la Bulgarie termineront la Coupe du monde 1994 à une inattendue 4e place. C’est la meilleure performance du pays, qui n’a ensuite connu que deux phases finales. Les Bulgares ont été éliminés dès le 1er tour lors de la Coupe du monde 1998 et de l’Euro 2004.

Depuis le début de la semaine, dans les médias français, le bourreau des Bleus se plaint de l’état du foot bulgare. Celui qui est membre du comité exécutif de la fédération et directeur technique des équipes de jeunes analysait déjà dans So Foot, en novembre 2013 : « Les jeunes n’ont plus le sens du sacrifice comme nous. Ils sont plus préoccupés par leur compte Twitter, Internet, leur look. Ils sont tous là, à se coiffer avec du gel pendant des heures ou à prendre de temps pour se faire des tatouages. Ce ne sont pas des footballeurs mais des œuvres d’art. »