Alain Juppe lors de « l’Emission politique » sur France2 le 6 octobre 2016. | PHILIPPE LOPEZ / AFP

Alain Juppé était l’invité de « L’Emission politique » de France 2, jeudi 6 octobre au soir. Il y a balayé ses différents thèmes de campagne et défendu sa candidature à la primaire de la droite. Au prix, parfois de quelques erreurs et approximations. Retour sur plusieurs déclarations de la soirée.

Sur le RSA

CE QU’IL A DIT

« Je veux m’assurer que ces allocations restent en permanence en dessous du salaire de travail de façon à ce que celui qui travaille ait un meilleur revenu que celui qui vit des minima sociaux. S’il le faut je ferai baisser le RSA pour qu’on arrive à cet objectif. »

POURQUOI C’EST PLUTÔT FAUX

Alain Juppé reprend à son compte un cliché largement répandu, y compris au sein de la classe politique : le montant des aides sociales pourrait dans certains cas atteindre voire dépasser le salaire minimum. D’abord, il faut savoir qu’on ne peut pas tout cumuler : outre les revenus du travail, les pensions alimentaires, rentes, indemnités de chômage ou allocations familiales sont prises en compte dans le calcul du RSA.

Ensuite, concernant la comparaison entre revenu du travail et RSA, l’association ATD Quart Monde a creusé la question dans un livre publié début octobre 2016 (En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté). Verdict : il n’existe « qu’un seul cas dans lequel l’écart RSA-smic n’est pas significatif : celui d’une personne seule et sans enfant. […] Ce cas représente environ 5 % des foyers fiscaux en France. »

Cette situation ne vient alors pas tant du montant du RSA que du fait qu’une personne seule qui touche le salaire minimum et travaille à temps plein n’a pratiquement aucune aide sociale. Le RSA pour une personne seule est d’environ 535 euros par mois, auxquels on peut ajouter, pour un locataire seul à Paris, une aide au logement d’environ 310 euros.

Soit environ 850 euros, somme à laquelle on peut ajouter la prime de Noël des bénéficiaires du RSA (150 euros pour une personne seule, soit environ 12,5 euros si on rapporte ce montant au mois) et à laquelle il faudrait, pour être tout à fait exhaustif, ajouter quelques autres dispositifs selon le cas (par exemple, les réductions sur les cartes de transports selon les villes). Au final, l’écart est effectivement limité avec la personne seule qui travaille et touche le smic (1 140 euros nets), puisque cette dernière ne touchera rien ou presque côté allocation logement (moins de 50 euros par mois dans les mêmes conditions que pour le locataire parisien au RSA, selon nos calculs).

L’écart est en revanche nettement plus important lorsque le nombre de personnes dans le foyer augmente, selon les calculs d’ATD Quart Monde.

La fausse révolution des « zéro charges » sur le smic

CE QU’IL A DIT

Alain Juppé a réitéré sur France 2 sa proposition de donner un « coup d’élan » au marché du travail en supprimant toutes les cotisations patronales pour les salaires au niveau du smic, déjà formulée par exemple dans une interview au JDD le 1er octobre.

POURQUOI CE NE SERAIT PAS UNE RÉVOLUTION

En réalité, le niveau des charges sur les salaires au niveau du smic est déjà très proche du zéro absolu. Face au chômage, les gouvernements successifs les ont progressivement allégées, si bien que le taux de cotisations patronales est d’environ 14 % du salaire brut au niveau du salaire minimum. Alors qu’il se situe autour de 40 à 45 % sans allégement.

Si l’on ajoute le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui permet de récupérer après coup environ 6 points de charge, les charges patronales sur un salarié au niveau du smic sont d’environ 8 %. Pas si loin, donc du « zéro charges » qu’appelle Alain Juppé.

Sur l’immigration, Robert Ménard dans l’intox, pas Alain Juppé

CE QUI A ÉTÉ DIT

Robert Ménard a laissé entendre que le regroupement familial concernait « 40 % » des immigrés, avant de parler de « 20 % ». Alain Juppé, lui, a parlé de « 200 000 immigrés » par an en France, dont près de la moitié pour des raisons familiales, mais seulement 10 000 pour le regroupement familial.

C’EST ALAIN JUPPÉ QUI DIT VRAI

Faisons le point sur les chiffres officiels du ministère de l’intérieur. En 2013 (les derniers chiffres définitifs), on comptait environ 205 000 admissions au séjour des ressortissants de pays tiers en métropole. Dans cet ensemble, un peu moins de la moitié (93 714 admissions) se font pour des raisons familiales, mais le regroupement familial n’en représente qu’une petite partie (12 000 personnes en 2015, soit environ 6 % du total des admissions). C’est donc le candidat à la primaire LR qui avait raison face au maire de Béziers.

Robert Ménard a par ailleurs affirmé que les personnes originaires du Maghreb et la Turquie représentaient 75 % des immigrés qui entrent en France. C’est totalement faux puisque les chiffres de l’Insee indiquent que ces quatre pays représentaient 19 % des entrées en France en 2012. Si l’on regarde les statistiques de 1966 à 2008, les immigrés provenant de ces quatre pays représentent 38 % du total.

Des mauvais comptes sur les demandeurs d’asile

CE QU’IL A DIT

« En France, il faut plus d’un an pour avoir si on a droit au droit d’asile. En Allemagne, moins de 6 mois. »

C’EST EXAGÉRÉ

En France, le délai moyen de traitement des demandes d’asile était en 2015 de 216 jours, soit sept mois et six jours. Si le demandeur d’asile voit sa demande refusée, il peut faire appel et saisir la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). La durée moyenne du traitement d’un dossier à la CDNA est de six mois et quatre jours. Au total, un demandeur d’asile peut attendre une durée maximum de près de quinze mois.

En Allemagne, la durée moyenne de l’examen de la demande d’asile était en 2014 de 11,1 mois, soit plus qu’en France, contrairement à ce que dit Alain Juppé. Une situation qui peut néanmoins s’expliquer par le nombre bien supérieur de requêtes reçues par les autorités allemandes.

CE QU’IL A DIT

« 5 % des déboutés du droit d’asile sont réellement reconduits aux frontières. »

POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ

Le maire de Bordeaux semble se baser sur une statistique citée dans un rapport de la Cour des comptes de 2015, selon laquelle 96 % des personnes déboutées du droit d’asile resteraient sur le territoire français, puisque seulement 4 % sont éloignées. Elle vient de la Direction générale des étrangers de France (DGEF)

Mais, l’analyse de ce chiffre est contesté par le ministère de l’intérieur, car il ne s’agit pas d’un chiffre exhaustif. Il ne compte par exemple pas les personnes qui recevraient des titres de séjours pour d’autres motifs. Mais comme le relevait L’Express à l’époque, ce débat met en relief le manque de données statistiques sur les demandeurs d’asile, puisque le chiffre réel n’est pas connu.