Ce vendredi 7 octobre, les Marocains élisent leurs députés. Les islamistes du Parti justice et développement (PJD), au pouvoir depuis cinq ans veulent conserver leur majorité face aux « modernistes » du Parti authenticité et modernité (PAM), formation libérale fondée par un proche conseiller du roi Mohammed VI. Petit guide pour tout comprendre du scrutin législatif.

Au Maroc, la monarchie a survécu à l’indépendance, en 1956, mais a toujours redouté l’émergence d’un parti hégémonique. C’est pourquoi le discours officiel se félicite du multipartisme qui règne dans le pays, lequel a longtemps détonné en Afrique et dans le monde arabe.

Pour comprendre les enjeux de l’actuel scrutin, le jeune cercle de réflexion Tafra a réalisé une étude présentant les leçons d’un demi-siècle d’élections législatives dans le royaume. Elle aide à saisir l’évolution de la représentation dans un système politique dominé par la monarchie, mais ménageant un espace de compétition entre partis politiques.

En outre, la Constitution de 2011, adoptée dans le contexte du « printemps arabe », renforce le pouvoir du premier ministre, que le roi nomme « au sein du parti politique arrivé en tête des élections » (article 47).

1. Qui sont les islamistes ?

Le Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste) est à la tête du gouvernement de coalition marocain depuis cinq ans. En 2011, il était arrivé premier des législatives anticipées décidées par le roi Mohammed VI dans le sillage du « printemps arabe ». Même s’il n’avait pas participé au mouvement de contestation, le PJD avait su capitaliser sur les mots d’ordre de l’époque contre la corruption et le despotisme. Son accession au pouvoir était historique, le parti ayant toujours été cantonné dans l’opposition depuis son inclusion dans le jeu politique dans les années 1990. Désormais, le PJD domine la scène politique, après avoir siphonné les électeurs de gauche.

Son leader et chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, bénéficie d’une popularité importante, malgré un bilan modeste. Pendant cinq ans, le PJD a pris garde de ne pas heurter le palais royal tout en soignant son image de parti « indépendant ». Conservateur et réputé non corrompu, il a su séduire parmi la classe moyenne et dans les villes. Les islamistes sont également présents hors du jeu institutionnel à travers Al-Adl Wal Ihsane (« justice et bienfaisance »), une association illégale mais tolérée, qui prône le boycottage des élections. Enfin, ce scrutin a vu une recrudescence de candidats salafistes, parmi les listes du PJD mais aussi de l’Istiqlal. L’objectif des partis qui les ont acceptés serait double : capter les voix de cet électorat et les intégrer dans le jeu politique.

2. Qui représente la gauche ?

Premier parti du Maroc en 2002, l’Union socialiste des forces populaires (USFP, gauche parlementaire) connaît un déclin qui paraît inexorable à mesure que le PJD lui grignote ses fiefs électoraux, en particulier dans les villes (Casablanca, Rabat, Agadir, etc.). Les classes moyennes, fonctionnaires et professions libérales sanctionnent la participation de la gauche au gouvernement, qui n’a pas permis de réformer le pays ni d’inverser le rapport de forces avec la monarchie.

Pour se défendre face aux islamistes, l’USFP s’est redéployée dans des circonscriptions rurales pour préserver sa représentation. En 2011, l’USFP est dominé dans 72 circonscriptions par les islamistes sur les 92 que compte le pays. Ce qui explique en grande partie que l’USFP n’a pas voulu rejoindre le gouvernement formé par le PJD.

Le Parti du progrès et du socialisme (PPS, ex-Parti communiste) a fait le choix inverse, s’alliant aux islamistes du PJD. A court terme, le pari semble gagnant : il revendique 423 000 voix aux communales de 2015, en forte progression par rapport aux législatives de 2011, où il avait recueilli 270 000 voix. Le nouveau venu est la Fédération de la gauche démocratique (FGD), qui aspire à représenter une « troisième voie » et refuse de s’allier aux deux grands partis que sont le PJD et le PAM.

3. Qui représente le palais ?

Le palais répète que personne ne le représente et le PAM prend soin d’affirmer son indépendance. Ce parti, né en 2008 d’une fusion de partis de l’administration créés sous l’ère Hassan II, est d’abord un parti lié à la personnalité de son fondateur. Fouad Ali Al-Himma, ami du roi et associé à la gestion sécuritaire du pays de 1999 à 2007, quitte ses fonctions au sein de l’Etat pour descendre dans l’arène politique. Le parti affiche le projet de confronter les islamistes et défendre les grandes réalisations du début du règne de Mohammed VI.

Accusé de vouloir dominer la scène politique, surtout après son triomphe aux communales de 2009, il doit réduire ses ambitions en 2011, quand les manifestants du Mouvement du 20 février le désignent comme un symbole de « la corruption et de l’autoritarisme ». Pour le scrutin actuel, le parti se pose en alternative au PJD, notamment sur les questions sociétales. Il s’appuie sur un réseau d’hommes d’affaires couvrant aussi bien les circonscriptions urbaines que rurales.

4. Combien de Marocains vont se rendre aux urnes ?

Le premier chiffre attendu dès la fermeture des bureaux de vote, vendredi 7 octobre au soir, sera celui de la participation. Après le vote de 1970, pourtant boycotté par l’opposition, pour lequel le ministère de l’intérieur avançait un taux de participation de 85 %, les Marocains boudent de plus en plus les urnes.

Elections au Maroc : « Les islamistes ont réussi à incarner une autre façon de faire de la politique »
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En 2007, l’abstention atteint le niveau record de 63 %, envoyant un électrochoc dans les états-majors des partis et au palais. En 2011, la participation enregistre un léger rebond, à 45 %. Le Mouvement du 20 février, né du « printemps arabe », avait appelé au boycottage des urnes. Compte tenu du faible pourcentage des suffrages réellement exprimés, une variation du taux de participation peut modifier l’issue du scrutin.

5. Pourquoi tant de bulletins blancs ou nuls ?

Le faible taux de participation est à mettre en relation avec deux autres tendances alarmantes. D’abord, la baisse continue du taux d’inscription sur les listes électorales. En 1997, lors des législatives qui virent l’arrivée au pouvoir des socialistes, le taux d’inscription sur les listes électorales atteignait 85 %. Il s’est effondré à 62 % en 2011. Après des campagnes d’inscription pour les communales de 2015 et pour l’actuel scrutin, 15 702 592 personnes sont appelées à voter, soit environ deux tiers des Marocains en âge de voter.

Ensuite, la hausse continue des suffrages blancs ou nuls : jusqu’à 22 % des bulletins en 2011, avec des chiffres plus élevés encore dans les villes. L’explication par l’analphabétisme ne tient pas, parce qu’il baisse partout, plus encore dans les villes. On peut dès lors penser que le vote blanc ou nul exprime le plus souvent un mécontentement vis-à-vis de l’offre politique.

6. Quel est le mode de scrutin ?

Ce sera la quatrième fois que les législatives se feront avec un mode de scrutin proportionnel. Le territoire est divisé en 92 circonscriptions incluant le Sahara occidental. Chacune se voit attribuer un nombre de sièges qui est censé refléter son poids démographique, même si des inégalités persistent. En 2011, par exemple, 1 311 voix suffisent pour remporter un siège à Tarfaya, tandis qu’il en faut 43 161 à Tanger-Assilah.

Dans cette configuration, il est difficile pour une seule formation de rafler tous les sièges d’une circonscription, même quand elle domine les résultats. Cet effet d’éparpillement s’explique aussi par la règle de répartition, dite du plus fort reste, qui favorise les petits partis. Par ailleurs, ces législatives d’octobre 2016 se déroulent pour la première fois avec un abaissement du seuil électoral à 3 % (contre 6 % auparavant), ce qui risque de favoriser le caractère éclaté de la Chambre issue du vote.

Déjà, en 2011, 18 partis ont été représentés à la Chambre des représentants, même si les huit premiers totalisent 97 % des sièges. Pour l’actuel scrutin, douze partis seulement couvrent plus de 50 % des circonscriptions (100 % pour le PAM, le PJD et l’Istiqlal), mais ils sont au total 27 partis à se présenter, si l’on tient compte du fait que la Fédération de la gauche démocratique – une alliance de trois partis – présente des candidats communs.