Le Monde

Emmanuelle Collas n’en revient toujours pas. En novembre 2015, la patronne des éditions Galaade obtenait une belle reconnaissance avec le prix Médicis étranger décerné à l’un de ses auteurs, le Turc Hakan Günday, pour son roman Encore. Dix mois plus tard, stop : la petite maison d’édition a été placée, le 20 septembre, en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Paris.

« C’est moi qui l’ai demandé, précise Mme Collas. Après le prix Médicis, la maison allait plutôt bien, malgré une trésorerie tendue. Mais, cet été, le marché a été dur, et une banque a décidé de façon arbitraire de ne plus travailler avec nous. Sans carte bancaire, ni ligne d’escompte, ni facilité de trésorerie, impossible d’avancer. J’ai préféré me placer sous la protection du tribunal, le temps de trouver une solution avec l’administrateur judiciaire. »

Galaade, une PME fondée en 2005, n’est pas un cas unique. A Paris et en Ile-de-France, de plus en plus d’entreprises sont placées en redressement judiciaire. Cela a été le cas de 2 291 sociétés au cours des douze mois achevés fin août, soit 11 % de plus qu’un an auparavant, et 20 % de plus qu’au printemps 2013, selon les pointages de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Paris et de l’Ile-de-France. Un signe supplémentaire de la fragilité de la reprise économique.

Parmi les entreprises en difficulté, mais jugées sauvables, se trouvent beaucoup de petites entités comme Galaade, qui compte trois salariés, ou encore le site LGBT Yagg, mais aussi quelques plus gros poissons. A l’image du fabricant de semi-conducteurs Altis, de Corbeil-Essonnes (Essonne), mis en redressement judiciaire le 4 août avec 965 personnes, et cédé, fin septembre, à l’industriel allemand X-FAB.

« La situation se dégrade »

L’aggravation, à Paris et aux alentours, est d’autant plus frappante qu’elle s’inscrit à contre-courant de la situation dans le reste de la France. En incluant les liquidations, le volume des nouvelles procédures collectives reflue assez régulièrement, depuis un an au niveau national, avec une baisse de 4,8 % en glissement annuel au 1er août. Dans le même temps, « la situation se dégrade en Ile-de-France », dit la CCI : les ouvertures de sauvegarde ou de redressement et les liquidations y ont augmenté de 3,5 % en un an. « Seule la Guyane et la Corse affichent également des hausses », précisent les AGS, le régime de garantie des salaires.

Jusqu’à la fin de 2014, Paris, la banlieue et le reste de l’Hexagone ont connu des évolutions assez voisines. Depuis, les courbes ont divergé : les défaillances sont reparties à la hausse en Ile-de-France, alors qu’elles diminuaient lentement ailleurs. Comment expliquer cet écart ? De nombreux observateurs mettent en avant les conséquences des attentats qui ont ensanglanté l’Ile-de-France en janvier et en novembre 2015. « Cela a fait fuir les touristes, et a contribué aux difficultés de secteurs comme l’hôtellerie, la restauration, certains commerces… », souligne l’administrateur judiciaire parisien Christophe Thévenot.

Le terrorisme n’explique pas tout

« Je n’ai pas encore de dossier dans l’hôtellerie, mais je m’attends à être sollicitée, commente sa consœur Hélène Bourbouloux. Beaucoup d’entreprises qui dépendent de la consommation des ménages sont à la peine, les attentats ayant accentué les problèmes qui préexistaient. »

Toutefois, le terrorisme n’explique pas tout.

« La montée des redressements en Ile-de-France est nette dans le commerce automobile et la réparation, le commerce de détail, la restauration, mais encore plus dans les services aux entreprises et le conseil », précise Thierry Millon, directeur des études d’Altares Dun & Bradstreet.

Quant au président du tribunal de commerce de Bobigny (Seine-Saint-Denis), Francis Griveau, il a une autre analyse.

« Ici, le tourisme est faible et les attentats n’ont guère eu d’impact sur l’activité, observe-t-il. S’il y a davantage de défaillances, c’est surtout qu’il y a davantage d’entreprises : notre département est le plus dynamique du pays ! C’est donc un signe de croissance… »