Manifestation contre la « suspension » du journal Nepszabadsag à Budapest. | ATTILA KISBENEDEK / AFP

Le plus important quotidien de l’opposition hongroise, Nepszabadsag, ne paraîtra plus à partir de lundi. Le groupe qui en est propriétaire a annoncé samedi 8 octobre la suspension de publication, soulevant des inquiétudes sur la pluralité de la presse en Hongrie.

L’opposition socialiste au Premier ministre Viktor Orban a qualifié cette suspension, comme celle du site web du quotidien, de « jour noir pour la presse ». Dans la soirée, entre 1 500 et 2 000 personnes ont manifesté devant les locaux du journal à Budapest et devant le Parlement, brandissant des exemplaires du quotidien et scandant « Orban dehors! ».

Officiellement, une raison économique

Le groupe Mediaworks, propriétaire de Nepszabadsag, a assuré dans un communiqué cité par l’agence hongroise MTI que la suspension de la parution du journal était dictée par des raisons économiques et qu’elle durerait jusqu’à « la formulation et la réalisation d’un nouveau concept » . Le parti de Viktor Orban, le Fidesz, a qualifié cette mesure de  « décision économique rationnelle, pas politique ».

Le groupe Mediaworks, propriété d’un magnat de presse autrichien, qui a acheté Nepszabadsag et plusieurs autres titres hongrois en 2014, affirme que son tirage a plongé de 74 % au cours des dix dernières années, et qu’il a perdu près de 5 milliards de forints (16,4 millions d’euros).

Un « coup de massue » pour les journalistes

Un responsable de la rédaction de Nepszabadsag a indiqué que les journalistes, qui avaient préparé des articles pour l’édition de lundi, avaient été empêchés d’entrer dans la rédaction et avaient reçu des lettres les informant de la suspension du quotidien. Il s’est exprimé pour l’AFP sous couvert d’anonymat :

« Nous sommes en état de choc, c’est un coup de massue. Bien sûr ils vont affirmer que c’est une décision économique mais ce n’est pas vrai. Cela porte un énorme coup au journalisme d’investigation et à la liberté de la presse. »

Nepszabadsag est paru normalement dans les kiosques samedi, son personnel n’ayant pas été informé à l’avance de sa suspension. « Le pays a appris (la suspension) avant nous. (...) Notre première pensée a été qu’il y avait eu un putsch », affirment ses journalistes dans un message sur la page Facebook du journal.

« La liberté de la presse en danger »

Créé il y a soixante ans, Nepszabadsag – dont le nom signifie « le peuple libre » – est le plus fort tirage de la presse hongroise et un critique virulent du Premier ministre et de sa politique anti-immigration.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2010, Viktor Orban, a souvent été accusé de vouloir utiliser les médias à son profit, et de larges secteurs des médias privés ont été achetés par des oligarques proches de son gouvernement, affirment ses détracteurs, qui notent aussi que le gouvernement leur accorde l’essentiel du marché publicitaire public.

La situation financière du journal n’est qu’un « prétexte », a dénoncé à Bruxelles, Gianni Pittella, président du principal groupe de centre-gauche au Parlement européen, ajoutant que « la liberté de la presse est aujourd’hui en danger en Hongrie ».

« Il est très commun dans des systèmes non démocratiques de fermer des journaux hostiles qui gênent le pouvoir en dévoilant, par exemple, des cas clairs de corruption. C’est exactement ce qui est arrivé à Nepszabadsag. »

Avant le référendum en Hongrie dimanche dernier sur les réinstallations de réfugiés dans l’UE, Nepszabadsag avait publié plusieurs articles sur des scandales impliquant des hommes politiques proches de Viktor Orban.