Une manifestation spontanée a réuni 2 000 personnes, samedi 8 octobre, pour protester contre la fermeture du journal « Nepszabadsag ». | ATTILA KISBENEDEK / AFP

Une vénérable institution, le principal quotidien de l’opposition hongroise, Nepszabadsag (« liberté du peuple »), a fermé ses portes sans prévenir, samedi 8 octobre. Créé il y a tout juste soixante ans, en 1956, cet instrument de contre-pouvoir a été « suspendu », selon l’annonce faite par son propriétaire, Mediaworks, une filiale du groupe VCP (Vienna Capital Partners), fondé par un investisseur autrichien puissant, Heinrich Pecina, et dont les journaux régionaux assurent la majorité des revenus et 75 % de la diffusion en Hongrie.

Le site Internet nol.hu est désormais lui aussi indisponible. Un communiqué du groupe y explique que Nepszabadsag doit « trouver un meilleur modèle économique », afin de rebondir. Les journalistes de cette grande maison de référence ont été empêchés d’entrer dans leur rédaction. Ils ont appris que les rotatives cesseraient de tourner en même temps que le reste de la population. Sur la page Facebook officielle du journal, ils évoquent un « putsch ».

Mediaworks, qui a acheté Nepszabadsag en 2014, affirme que son tirage, certes le plus fort de la presse quotidienne du pays, a plongé de 74 % au cours des dix dernières années, soit de 100 000 exemplaires. Il a aussi perdu près de 5 milliards de forints (16,4 millions d’euros). La décision du groupe ne serait donc motivée que par des injonctions financières.

Manifestation spontanée

Mais la brutalité de l’application d’une telle décision surprend, quand on connaît la renommée et l’influence de ce titre, ainsi que la valeur affective qu’il conserve chez beaucoup de Hongrois. Elle inquiète aussi, après le licenciement en 2011 de 1 000 journalistes de la télévision publique, l’interdiction d’émettre décidée la même année pour la station d’opposition privée Klubradio et alors qu’Amnesty International estimait en mai que la liberté de la presse s’érodait en Europe.

De larges secteurs des médias privés ont été rachetés par des oligarques proches du gouvernement hongrois, selon ses détracteurs. L’exécutif utiliserait également les marchés publicitaires pour favoriser les titres offrant une couverture acquise à ses combats idéologiques.

L’annonce de cette fermeture, même présentée comme provisoire, a donc provoqué une grande émotion à Budapest, où une manifestation spontanée a rassemblé près de 2 000 personnes samedi. Nepszabadsag avait publié dernièrement plusieurs articles sur des scandales impliquant selon lui György Matolcsy, le directeur de la banque nationale de Hongrie et Antal Rogan, le ministre en charge du cabinet du premier ministre, deux protégés de Viktor Orban.

Une « décision économique rationnelle » ?

L’opposition socialiste, proche du quotidien, voit la main de ce dernier derrière les ennuis du quotidien. Elle est relayée à Strasbourg par l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates. Gianni Pittella, son président, un Italien, a qualifié de « prétexte » la situation financière du journal.

Mais le parti au pouvoir, le Fidesz créé par Viktor Orban, se défend d’avoir voulu la mort abrupte de Nepszabadsag. Sur sa page Facebook, il commente une « décision économique rationnelle ».

Les Hongrois sauront assez vite quelles motivations auront dicté cette perte pour la pluralité de l’information. Les employés du journal ne croient pas pouvoir reprendre leur travail un jour. Ils craignent, au contraire, d’être licenciés pour des raisons économiques et d’être remplacés par des journalistes choisis par un nouveau propriétaire, proche du premier ministre.