Des milliers de personnes ont manifesté, dimanche 9 octobre, à Sanaa devant les locaux des Nations unies (ONU), en protestation contre une attaque aérienne qui a fait au moins 140 morts et 525 blessés, samedi, dans la capitale yéménite, selon un bilan du bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires dans le pays.

L’attaque a été menée par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, en guerre contre les rebelles houthistes et leur allié, l’ex-président Ali Abdallah Saleh. Elle a visé à plusieurs reprises un centre de réception dans un quartier aisé de la capitale, aux mains des rebelles depuis deux ans. Une cérémonie funéraire s’y tenait en l’honneur du père du ministre de l’intérieur rebelle, Jalal Al-Ruwaishan.

La frappe « a pu viser des personnalités de premier plan liées aux houthistes et à Saleh, présentes à la réception », note Adam Baron, chercheur associé au Conseil européen des relations internationales. Le maire de la ville, Abdulqader Hilal, a été tué, ainsi que l’ancien gouverneur de la province d’Al-Bayda, Mohammed Naser Al-Amri, et un puissant général rebelle, Ali Al-Dafi : des personnalités importantes, mais pas les principales figures de la rébellion, précise le chercheur.

Dimanche, les centres de soins de Sanaa traitaient quelque 300 patients, toujours dans un état critique, selon le ministère rebelle de la santé, qui donnait un bilan de 115 morts, inférieur à celui de l’ONU. Le ministère demandait la réouverture de l’aéroport de Sanaa, bloqué par la coalition saoudienne depuis des semaines. Dans la soirée, le ministre iranien des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, dont le pays soutient politiquement les houthistes, a annoncé avoir demandé l’aide de l’ONU pour convoyer de l’aide humanitaire à Sanaa, et pour soigner les blessés en Iran.

Washington dénonce la frappe

Les premières funérailles des victimes ont eu lieu dimanche à Sanaa, à nouveau sous la menace des avions de la coalition saoudienne, tandis que le leader de la rébellion, Abdel Malik Al-Houthi, dénonçait, dans une allocution télévisée, une attaque menée avec des armes américaines et avec le « feu vert » de Washington.

L’ex-président Saleh a promis quant à lui une recrudescence des attaques à la frontière saoudienne, y compris en territoire saoudien, où des troupes rebelles dispersées se sont établies depuis des semaines.

Un porte-parole de la coalition saoudienne – elle a l’entière maîtrise des airs au Yémen –, a évoqué la possibilité que la cérémonie ait été bombardée par une autre partie. La coalition a cependant annoncé, dans la nuit de samedi à dimanche, une enquête interne, à laquelle elle a proposé d’associer des experts américains.

Washington a dénoncé cette frappe, et annoncé une revue de leur aide à la coalition, sans préciser de calendrier. « La coopération sécuritaire des Etats-Unis n’est pas un chèque en blanc », a déclaré dimanche Ned Price, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale à la Maison blanche.

Plus de 10 000 morts depuis mars 2015

Depuis le début de l’engagement saoudien en soutien au gouvernement yéménite en exil à Riyad, en mars 2015, les Etats-Unis ont fourni du renseignement et une aide logistique à Riyad (ciblage, ravitaillement en essence) qu’ils appuient également par d’importantes ventes d’armes. En juin, des conseillers américains chargés de cette coopération sur le sol saoudien ont été rapatriés, et les équipes aidant à la planification de ces missions depuis d’autres bases ont été réduites, selon l’agence Reuters.

La France, alliée de Riyad, a elle aussi dénoncé cette frappe. « Ce massacre souligne une nouvelle fois l’urgence de trouver une solution politique afin de mettre un terme à la guerre au Yémen », a rappelé le ministère des affaires étrangères dans un communiqué, alors qu’un troisième round de négociation de paix a échoué, en août au Koweït.

L’Arabie saoudite a, jusqu’à présent, bloqué avec succès toute enquête de l’ONU sur le conflit yéménite. En juin, Riyad avait menacé de couper ses financements aux Nations unies, après que la coalition avait été incluse sur une liste des pays violateurs des droits des enfants. La guerre au Yémen a fait plus de 10 000 morts depuis mars 2015 ; l’ONU estime que 60 % des victimes civiles (3 800 personnes) ont été tuées dans des frappes de la coalition.