Didier Acouetey est le président et fondateur du cabinet de recrutement et de conseil en ressources humaines AfricSearch. Chaque année, avec son réseau de bureaux implantés dans six pays d’Afrique – Togo, Bénin, Sénégal, Cameroun, Côte d’Ivoire et Afrique du Sud –, à Paris et à Washington, l’entreprise traite des milliers de curriculum vitæ de jeunes cadres et les met en relation avec les grandes entreprises du continent. A la mi-septembre, le cabinet fêtait ses vingt ans à Abidjan en présence de membres du gouvernement et de chefs de multinationales et de PME.

Lire aussi le portrait Didier Acouetey, chasseur de têtes pour l’Afrique

AfricSearch est passé du petit cabinet prestigieux, lancé à Paris en 1996, au plus gros cabinet de chasseurs de tête pour l’Afrique. Quel retour d’expérience faites-vous ?

Didier Acouetey Quand nous avons démarré, nous baignions toujours en plein afro-pessimisme. Compte tenu du déficit de compétences, et de l’état des économies africaines, les observateurs doutaient fortement de la capacité du cabinet à survivre. Depuis lors, l’Afrique est devenue ce qu’on a appelé « le continent de demain » et, surtout, les compétences africaines ont émergé. Nous avons réussi à montrer les talents, et à les inciter à s’investir en Afrique. Par ailleurs, nous sommes passés à une génération de dirigeants d’entreprises jeunes, très bien formés, en Occident ou ici. Le secteur privé a pris le relais des recrutements sur le marché, et a compris que les qualités des hommes faisaient la différence.

A vos débuts, les recrutements s’effectuaient principalement au sein de la diaspora, formée en Europe ou en Amérique. Aujourd’hui, vous recrutez aussi massivement en Afrique. Qu’est ce qui a changé ?

Au milieu des années 2000, il y a eu une évolution majeure. Nous avons constaté que beaucoup de ces compétences basées en Afrique avaient l’atout incroyable de connaître nettement mieux le marché local. Et, entre-temps, beaucoup d’Africains étaient rentrés, beaucoup avaient commencé à travailler pour des multinationales à la faveur de l’africanisation des postes d’encadrement, et avaient été formés aux pratiques de ces entreprises à l’international. Nous en sommes arrivés à fournir des listes de candidats tous basés en Afrique, avec une formation de haut niveau. Mais la diaspora n’est pas en reste. Elle a continué à montrer un intérêt extrêmement fort pour le continent. Nous n’avions jamais vu autant de demandes d’Africains de la diaspora qui voulaient revenir exercer leur métier ou profiter des opportunités ici.

Les entreprises qui recrutent se sont-elles aussi « africanisées » ?

A nos débuts, 90 % de nos recrutements se faisaient pour les multinationales non africaines comme Coca-Cola, City Bank ou Lafarge. Au fur et à mesure, nous avons vu l’émergence des « champions africains » comme MTN, Ecobank, NSIA, UBA… Bref, nous nous sommes retrouvés à rencontrer ces champions de la croissance africaine qui, justement, rentraient en compétition frontale avec les multinationales étrangères. Ils avaient compris que, pour gagner des parts de marché, il fallait passer par la qualité des hommes, de la gouvernance, de l’innovation, et ils se sont tous lancés dans cette aventure de mise à niveau. Au fur et à mesure, ils ont atteint environ 25 % de notre portefeuille. Ce qui nous frustre, ce sont les PME, qui représentent 90 % du secteur privé africain. On n’arrive pas encore à avoir accès à leurs services.

La tendance s’est inversée pour les cadres, mais des milliers d’Africains continuent de risquer leur vie pour rejoindre l’Europe à tout prix. N’est-ce pas paradoxal ?

Malheureusement, ces jeunes ne sont pas aussi diplômés. Certains ont des masters et des doctorats, mais dans des domaines qui ne sont pas en adéquation avec les besoins du marché sur le continent. Quand on construit des routes, il faut des chefs de chantier, des terrassiers, quand on monte une usine d’agroalimentaire, on a besoin de techniciens, de chimistes. Par ailleurs, l’Afrique ne crée passez d’emplois pour ces 10 à 12 millions de jeunes qui entrent sur le marché chaque année.

Etes-vous soutenu par les pouvoirs publics en Afrique ?

Malheureusement non. L’Afrique est victime de ses contradictions. Les dirigeants clament haut et fort qu’il faut trouver des solutions africaines aux enjeux du développement africain, mais la première chose qu’ils font est d’aller taper à la porte de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) pour structurer des projets de développement et chercher des financements. Plus de 4 milliards de dollars [3,5 milliards d’euros] chaque année sont payés à des experts internationaux, prétendument pour venir aider l’Afrique. Ce qu’il nous faut, ce sont des programmes massifs, une sorte de plan Marshall à l’échelle africaine, où on associe le secteur privé, qui se débat pour exister dans un écosystème qui ne lui est pas favorable. A peine 20 % des PME ont accès au financement via les banques. Nous manquons d’intelligence dans notre façon de construire les schémas de développement. Les Etats ont un rôle de catalyseur à jouer, et on perd beaucoup trop de temps. On nomme des gens aux ministères de l’économie mais qui n’en ont jamais fait… A un moment donné, l’Afrique est responsable de son sous-développement et de son échec.