Séverin Millet

Une crise bancaire couve en Europe, prédisent les cassandres. Les banques françaises n’en portent pas la trace. Selon les informations recueillies auprès des principaux groupes, les prévisions de recrutement pour 2017 s’annoncent bonnes, à la hauteur des embauches de 2016. Ils n’ont donc pas réduit leurs ambitions.

A eux trois, les leaders du secteur que sont BNP Paribas, le Crédit agricole et la Société générale prévoient de recruter 8 100 collaborateurs en contrat à durée indéterminée (CDI) en France l’an prochain, en sus de contrats à durée déterminée et en alternance. Cela représente 4 000 CDI à la « banque verte », 2 100 à la Société générale et 2 000 chez BNP Paribas.

Le groupe Banque populaire Caisse d’épargne (BPCE) n’a pas finalisé son plan pour 2017. Mais s’il maintenait les embauches en CDI à leur niveau de 2016, le nombre total de recrutements en CDI en France grimperait à près de 12 000. Pas si mal, en regard des tensions qui pèsent sur le secteur : nouvelles règles d’exercice de la profession coûteuses en capitaux propres et contexte défavorable des taux d’intérêt bas.

Ces perspectives constituent une bonne nouvelle pour l’emploi des jeunes, la Société générale ayant notamment l’intention de réserver la moitié de ses CDI à des jeunes ayant entre zéro et trois ans d’expérience. Les recrutements de jeunes « alternants » s’annoncent par ailleurs aussi soutenus (3 500 au Crédit agricole, 2 000 à la Générale).

Modèles d’activités équilibrés

Par ailleurs, à ce stock de nouveaux emplois de longue durée en France, s’ajouteront des CDI à l’étranger. Si le Crédit agricole prévoit d’en créer 2 500, BNP Paribas, le plus gros employeur du secteur (189 000 emplois dans le monde) mise sur 17 000 CDI hors de ses frontières. C’est l’équivalent de la ville de Royan (Charente-Maritime).

Des emplois nombreux et pérennes, voilà qui tranche avec l’ambiance générale en Europe, où les grandes banques licencient massivement, en Allemagne et aux Pays-Bas (la Deutsche Bank, la Commerzbank, ABN Amro, ING…).

La bonne santé des banques françaises explique pour partie ce dynamisme. Dotées de modèles d’activités équilibrés quand leurs concurrentes ont parfois emprunté des chemins risqués – en essayant, telle la Deutsche Bank, de rivaliser avec les banques américaines dans les activités spéculatives sur les marchés –, celles-ci résistent globalement mieux aux chocs. Et quand des accidents « industriels » se sont produits, les autorités de supervision ont eu tôt fait d’imposer des mesures de correction.

« Les banques françaises n’ont pas de problème existentiel, leur stratégie est équilibrée et leur modèle bien compris des autorités de tutelle. Elles sont bien ajustées à l’après-crise », estime Sam Theodore, chef de l’analyse bancaire de l’agence de notation Scope Ratings.

« Gestion prudente des effectifs »

Depuis 2008, les banques ont profité d’une pyramide des âges favorable pour réduire leurs effectifs

Les banques françaises ont aussi profité d’une pyramide des âges favorable, avec des départs naturels massifs, pour réduire leurs effectifs depuis la crise de 2008. Elles ont encouragé départs à la retraite et départs volontaires. Des mesures d’accompagnement ont été déployées, des plans d’ajustement des effectifs lancés. Cela leur donne aujourd’hui plus de latitude pour embaucher.

Ainsi, depuis 2009, le secteur détruit plus d’emplois qu’il n’en crée, à raison d’environ 1 % en moyenne par an. L’érosion des effectifs a beau être faible, elle n’en signe pas moins une tendance lourde pour le secteur, qui doit s’ajuster à un contexte ultra tendu.

« Les banques françaises ont pris en main le sujet de l’emploi et procédé à une gestion prudente des effectifs, explique-t-on à la Fédération bancaire française. L’emploi net diminue certes, mais le volume de recrutements global est important. » Tous contrats et réseaux confondus, 39 800 recrutements ont été comptabilisés en France en 2015, dont deux tiers en CDI. Autour de 39 400 devraient l’être en 2016, si la « règle » des 1 % se confirme.

Les besoins des banques en matière de recrutement se portent surtout sur des emplois de qualification supérieure (bac +2 à bac +5) : commerciaux, ingénieurs, experts financiers. Outre le numérique et le conseil, l’audit, le contrôle des risques et la conformité (aux règles) recrutent massivement.

Rédéploiement des effectifs

Pour les banques, tout l’enjeu est de s’adapter aux nouvelles façons de « consommer ». De fait, tout le secteur bancaire est « poussé » par la technologie et la génération des « millennials » (née entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990), habituée à tout gérer sur ordinateur, tablette et smartphones.

La fréquentation des agences ne cesse de baisser, ce qui conduit à réallouer les effectifs vers le numérique (de la conception des produits à leur mise en ligne sécurisée) en réservant les agences aux services à valeur ajoutée (placements, conseil aux entreprises…).

Plutôt que de fermer en masse des réseaux d’agences pourtant denses – leur nombre diminue de 1 à 2 % par an –, les banques préfèrent en revoir la distribution sur le territoire et la conception. Mais des plans de fermeture sont engagés, notamment à la Société générale. Et les syndicats redoutent des coupes claires dans le futur, tout comme ils craignent pour les seniors et les emplois appelés à disparaître…

Les besoins des nouvelles générations contraindront les établissements à modifier leurs organisations. La mutation s’est faite jusqu’ici dans la douceur, sans casse sociale. Qu’en sera-t-il dans cinq ou dix ans, sous la pression concurrentielle des entreprises de technologie financière, les fameuses « Fintech » ?

« L’adaptation au digital constitue le grand chantier de transformation pour les banques, notamment sur le plan des ressources humaines », relève Bruno de Saint-Florent, chargé des services financiers du cabinet de conseil en stratégie Oliver Wyman. « Il y aura de gros effectifs à recaser et à redéployer. Mais le digital représente un formidable appel d’air », conclut Fabrice Coudray, directeur au sein du cabinet de recrutement Robert Half.