La première ministre britannique, Theresa May, lors du congrès du Parti conservateur, à Birmingham, le 5 octobre. | PAUL ELLIS / AFP

La première ministre britannique, Theresa May, en projetant de montrer du doigt les entreprises qui emploient des étrangers, a-t-elle compromis l’image d’ouverture du Royaume-Uni, au point d’aggraver les conséquences du Brexit pour l’économie et de faire plonger la livre sterling ? Pour tenter d’apaiser ce débat, son gouvernement a été contraint de faire marche arrière sur son projet visant à exiger des employeurs qu’ils publient la liste de leurs salariés étrangers. Plusieurs ministres ont été envoyés sur les plateaux de télévision, dimanche 9 octobre, pour expliquer que ces données seraient collectées, mais qu’il n’était « pas question de les rendre publiques » ni de « nommer » les entreprises mauvaises élèves.

Devant le public acquis du congrès du Parti conservateur, la semaine dernière, plusieurs mesures destinées à répondre au message anti-immigrés des électeurs lors du référendum sur le Brexit avaient été annoncées : outre les listes visant à « débusquer » les entreprises qui préfèrent embaucher des étrangers plutôt que de former des Britanniques, la ministre de l’intérieur, Amber Rudd, avait annoncé des restrictions visant l’arrivée de nouveaux étudiants étrangers. Son collègue chargé de la santé, lui, avait indiqué que le système de santé allait, à terme, devoir se passer de médecins étrangers.

Projet « clivant et répugnant »

Le message hostile aux « non-British » a été confirmé lorsque le Foreign Office a informé des universitaires de la prestigieuse London School of Economics que le gouvernement n’emploierait plus d’experts non britanniques pour des consultations sur les questions liées au Brexit, par crainte de fuites vers les pays de l’UE. « Pour la première fois, je me demande à quoi bon continuer à travailler dans une université britannique sur les politiques de l’UE », a tweeté Jan Eichhorn, politologue allemand attaché à l’université d’Edimbourg. « Je pense qu’il n’est pas bon de dénigrer les étrangers », a lancé de son côté Roland Rudd, figure de la City et frère de la ministre de l’intérieur.

Après les acclamations du congrès, le retour de bâton a été rude pour Mme May. Non seulement le chef du Labour, Jeremy Corbyn, a estimé que le Parti conservateur avait « touché le fond en soufflant sur les braises de la xénophobie », non seulement Nicola Sturgeon, première ministre (indépendantiste) d’Ecosse, a qualifié d’« hideuse » la vision du Brexit de Mme May, mais des voix conservatrices et patronales se sont élevées dans le même sens. Steve Hilton, ancien conseiller de David Cameron et militant acharné pro-Brexit, a trouvé les mots les plus durs : le projet de fichage des entreprises ouvertes aux étrangers est « clivant, répugnant et terriblement bureaucratique ». Le gouvernement aurait pu tout aussi bien annoncer que « les étrangers devraient se faire tatouer un numéro sur l’avant-bras », a-t-il été jusqu’à écrire dans le Sunday Times, qualifiant Theresa May d’« irresponsable » pour avoir laissé entendre au reste du monde que Londres tournait le dos à la communauté internationale.

Organe des milieux d’affaires, le Financial Times accuse la première ministre de « jouer avec le feu » en doutant que « sa tactique permette d’aboutir à un meilleur accord pour le Royaume-Uni » lors du Brexit. Quant à Carolyn Fairbairn, présidente du CBI, principale fédération de chefs d’entreprise, elle a mis en garde lundi contre le risque de « fermer les portes » et cloue au pilori le message du gouvernement May selon lequel il y aurait « quelque chose de honteux [pour les entreprises britanniques] à attirer les meilleurs talents du monde entier plutôt qu’une source de fierté ».

La City et les milieux patronaux, qui ont l’habitude d’être davantage écoutés à Downing Street, reprochent de plus en plus ouvertement à Theresa May de privilégier la baisse des flux d’immigration, y compris européens, sur l’intérêt de l’économie et de l’emploi, et de rester sourds à leurs avertissements. Seul le ministre des finances, Philip Hammond, fait entendre une autre musique – « les Britanniques n’ont pas voté pour être plus pauvres et moins en sécurité », a-t-il mis en garde –, mais il semble isolé.

Controverse sur le rôle du Parlement

La possible perte du « passeport » qui permet à la City d’effectuer les transactions en euro nourrit toutes les inquiétudes qu’exprime la poursuite de la chute de la livre sterling. Mais plutôt que de voir dans la réaction des marchés la conséquence des annonces de Mme May favorables à la sortie du marché unique européen, son gouvernement préfère accuser l’étranger. Lundi, devant les députés, David Davis, ministre chargé du Brexit, a déclaré que les déclarations de François Hollande avaient « en partie provoqué » la chute de la livre. Le président français avait estimé, vendredi, que le Brexit « devait avoir un prix ».

Le mécontentement provoqué par les déclarations à teneur xénophobe se double d’une controverse sur le rôle du Parlement. Estimant que Theresa May ne détient pas de mandat pour conduire un « hard Brexit », le Labour demande un vote préalable à l’ouverture des négociations avec l’UE, tout comme plusieurs députés tories. La première ministre, elle, a exclu tout vote des députés (majoritairement pro-européens), qui risquerait, selon elle, de « bloquer la volonté populaire » exprimée lors du référendum.