Voulue par François Hollande au lendemain de l’attentat du 13 novembre 2015, la garde nationale, qui regroupe les réserves opérationnelles de l’armée, de la police et de la gendarmerie, a été officiellement lancée mercredi 12 octobre.

En deux ans, elle devra passer d’un vivier de 63 000 personnes à 85 000 personnes en 2018, dont 9 250 réservistes déployés chaque jour sur le terrain. Le budget a, lui aussi, été revu à la hausse, à hauteur de 311 millions d’euros en 2017, soit 100 millions de plus que prévu. Cinq mesures sont également mises en œuvre pour inciter les jeunes et les salariés à s’engager en masse.

Elie Tenenbaum, chercheur au centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (IFRI), décrypte les enjeux de ce dispositif que l’Elysée juge essentiel pour faire face à la menace terroriste.

La création de la garde nationale peut-elle donner un nouvel élan aux réserves opérationnelles ?

Jusqu’à présent, les réservistes étaient toujours les derniers servis. Mal formés, mal équipés et mal préparés, ils servaient de variable d’ajustement sur fond de coupes budgétaires, depuis la fin de la conscription, en 1997.

Le ministère de la défense savait que c’était un outil important, mais ne parvenait pas à convaincre de mettre les moyens. Elle veut donc aujourd’hui profiter au maximum de l’élan politique et populaire survenu autour des réservistes après les attaques terroristes afin de réparer cet outil. Pour elle, c’est l’occasion ou jamais.

Les déclarations politiques sont assez ambitieuses et offrent effectivement l’opportunité aux réserves opérationnelles de monter en puissance. Mais il faudra voir sur la durée si cet effort – en particulier budgétaire – sera maintenu, notamment en cas d’alternance politique.

Pour attirer les jeunes, l’Etat payera une partie de leur permis de conduire à hauteur de 1 000 euros. Que vous inspire cette mesure ?

Les jeunes de 18 ans à 25 ans constituent le cœur de cible des réserves. Or, depuis les attaques de 2015, on assiste à une vraie dynamique de la jeunesse, qui aspire à « servir » son pays. Il y a eu des « pics » de prises de contact dans les centres d’information de l’armée. Cette dynamique a été prise en compte.

Cette mesure sur le permis de conduire ne sera jamais la motivation principale des jeunes, mais peut peser dans la balance en faveur d’un engagement. Il en va de même pour l’allocation de 100 euros par mois qui sera versée aux étudiants et qui apparaît comme un vrai complément de revenu.

La garde nationale peut-elle aider à surmonter les difficultés des réserves opérationnelles ?

Les réserves rencontrent deux types de problèmes. En premier lieu, le lien entre les réservistes et le monde civil. Les employeurs sont assez hostiles à laisser leurs salariés partir sous le drapeau, surtout dans le privé. Selon un sondage de la Délégation à l’information et à la communication de la défense, réalisé à la fin de 2015, plus de la moitié des salariés rencontrent des difficultés à s’engager – ce qui incite d’ailleurs de nombreux réservistes à le faire sans prévenir leur employeur. Finalement, on a donc une réserve de taille respectable, mais plus ou moins inutilisable, faute de parvenir à la mobiliser.

La création d’une incitation fiscale [les entreprises bénéficieront désormais d’une réduction d’impôts quand un salarié réserviste sera en mission] pourrait aider à y remédier, mais en partie seulement, car c’est aussi un problème de culture. Sans sensibilisation majeure des entreprises à la question des réservistes, les réticences perdureront.

L’autre problème des réserves opérationnelles, en particulier celle de l’armée, est lié à la façon dont les réservistes sont intégrés dans les unités. Depuis la fin de la conscription, ils sont mélangés avec des militaires professionnels, qui les encadrent. Cela fonctionne à cette condition. Qu’en sera-t-il à l’avenir puisque l’idée est de massifier les recours à ces recrues ? Va-t-on avoir des unités, voire des régiments entiers de réservistes ? Ils n’ont pas les mêmes réflexes et aptitudes que les unités professionnelles, donc cela risque de poser problème, s’ils sont trop nombreux. Sauf à mieux les former.

Justement, le budget de 311 millions vous paraît-il suffisant pour répondre aux besoins ?

Il faut l’espérer. Un effort considérable de rattrapage est mené depuis deux ans sur les réserves, largement sous-financées depuis des années. C’est une vraie augmentation, mais je ne sais pas si cela suffira. Cela me semble tout de même peu pour mettre à niveau l’équipement et la formation des réservistes.

Le mode de fonctionnement des réserves opérationnelles est complexe, car certaines dépendent du ministère de la défense, d’autres de l’intérieur. La garde nationale peut-elle le simplifier ?

Je ne crois pas, car le terme de « garde nationale » est un simple label. C’est un nom apposé à l’ensemble des réserves pour les regrouper dans un même esprit, et non une organisation autonome qui viendrait les chapeauter.

Selon l’Elysée, la garde nationale vise à « répondre au besoin de protection du pays » et au « désir d’engagement des Français de servir la nation ». Qu’en pensez-vous ?

La garde nationale vise, en effet, à soulager les forces de l’ordre du fait d’un suremploi.

A travers elle, il s’agit aussi d’exalter le sentiment patriotique, car le réserviste est l’incarnation du lien entre l’armée et la nation. C’est une façon de relancer la dynamique positive – retombée depuis – qui avait bénéficié à l’armée après les attentats, quand les militaires étaient applaudis pour avoir protégé les Français.

Sur le plan politique, enfin, la création de la garde nationale permet à François Hollande de montrer qu’il est présent, actif, en surfant sur l’engouement populaire pour la réserve et le besoin de sécurité des Français. Cela renforce sa posture présidentielle, au-dessus de la mêlée. On est dans la suite militarisée du 11 janvier : il se pose en garant de l’unité nationale face à la menace terroriste.

En tant que socialiste, valoriser la figure du réserviste lui permet par ailleurs de renouer avec celle du soldat citoyen, notion que glorifiait Jean Jaurès, « la » référence pour la gauche en la matière.