Stéphane Roussel, membre du directoire de Vivendi, expose sa vision du jeu vidéo pour Gameloft. | ERIC PIERMONT / AFP

Stéphane Roussel est directeur exécutif de Vivendi et président de Gameloft depuis juin 2016. Mercredi 12 octobre au siège du groupe de Vincent Bolloré, à quelques mètres de l’Arc de Triomphe à Paris, il présentait les prochains jeux mobiles de l’éditeur français. Ceux-ci, peu originaux, n’illustrent pas encore le grand dépoussiérage que Vivendi veut apporter au catalogue de Gameloft. A terme, il promet plus d’originalité, plus de narration et plus de liberté créative, dans un message à peine voilé adressé à Ubisoft, qui prétend qu’un rachat par Vivendi étoufferait l’imagination des équipes.

Comment Vivendi et Gameloft envisagent-ils l’évolution du jeu vidéo ?

On pense qu’à l’avenir les joueurs interviendront surtout sur la scénarisation, plutôt que des exploits individuels – comme appuyer sur le bouton pour tirer mieux ou conduire la voiture. Il y aura tout un univers qui consistera à faire apparaître tel ou tel personnage, à voir ce qui se passe, tout en étant dans le métro. L’idée, ce sera : « J’écris l’histoire. »

Il y a un autre mouvement, qui est plus technologique, celui de la réalité virtuelle. Enfin, il y en a un dernier, qui est une tendance à des jeux plus simples et plus courts, comme on le voit sur Facebook, avec des jeux intégrés dans les flux, qui permettent de jouer à deux, en discutant. C’est encore un autre univers. L’innovation n’est pas que technologique ou liée au design. Il y a plusieurs pôles.

Gameloft ne va pas suivre la mode de l’e-sport, les compétitions de jeux vidéo ?

Si. On va y aller, mais par Vivendi d’abord. Nous mettons un gros paquet sur l’e-sport. Nous organisons un gros tournoi mobile sur les jeux Gameloft, ce sera soit sur le jeu de tir Modern Combat, soit sur le jeu de course Urban Asphalt, soit les deux.

Plus largement, on veut être un acteur majeur de l’e-sport, pas seulement Gameloft, mais Vivendi. La preuve, c’est que nous organisons le premier championnat de France officiel de FIFA 17 à l’Olympia, avec la finale en décembre. D’ailleurs, même sans Gameloft, nous l’aurions fait.

Qu’en est-il de la réalité virtuelle ?

Soixante-dix suggestions de projets sont en cours d’examen au sein de Gameloft, dont au moins sept ou huit tourneront autour de la réalité virtuelle. Mais je ne peux pas vous dire si ce sont ceux que nous retenons. Car l’innovation peut venir de la VR comme d’autre chose. Le succès des Pokémon, par exemple, ce n’est pas que la réalité virtuelle, mais la rencontre entre une franchise et une technologie. La technologie seule ne sert à rien, comme dans un film. Il faut que le scénario l’accompagne.

Vous croyez beaucoup à un jeu vidéo scénarisé ?

J’y crois beaucoup, au moins pour un public. Il n’y en a pas tant que ça, à l’heure actuelle.

Quid de tous les jeux du studio Telltale, proches de séries télé interactives ?

Oui, mais on peut aller plus loin. Le jeu Game of Thrones, c’est un bon début. Mais la notion de choix dont les conséquences ne perdurent que pendant deux minutes puis disparaissent, on n’en est plus là. On pense qu’il va y avoir un public nouveau, surtout pour des jeux adaptés de franchises.

L’éclosion de la scène du jeu vidéo indépendant a permis l’explosion de nouvelles expériences de jeux vidéo originaux et atypiques. Est-ce une nouvelle piste possible pour Gameloft, qui est souvent critiqué pour son suivisme ?

Tout à fait. C’est pour ça que nous avons lancé un appel à projets en interne : c’est pour créer cet état d’esprit-là. On veut des équipes plus autonomes, et que la créativité ne soit plus centralisée. C’est ce que j’ai demandé. Nous apportons juste les moyens. Mais on n’imposera rien aux équipes. Ça ne marcherait pas.

Y a-t-il des gammes de budget que vous vous interdisez ?

Non. Un jeu peut ne pas être cher du tout. La bonne idée peut venir d’un projet à 100 000 comme à 10 millions d’euros. On ne sait pas. Mais l’avantage de Vivendi, c’est que si j’ai les preuves que le jeu qui va marcher nécessite 8 ou 9 millions, Vivendi les mettra, ce que n’aurait pas pu faire Gameloft.

L’évolution des relations entre Vivendi et Ubisoft peut-elle influencer l’évolution de votre stratégie pour Gameloft ?

C’est plutôt l’inverse. L’effet bénéfique de la bonne intégration de Gameloft rassure les collaborateurs d’Ubisoft, à qui on a promis les pires effets si Vivendi se montrait un peu plus présent, notamment en termes de créativité. En vérité, c’est tout à faire l’inverse qui se produit. En outre, ce sont des situations différentes. Pour Gameloft, nous étions pressés, nous avions identifié trois verticales sur mobile : la musique, la vidéo, et le jeu vidéo. Mais nous n’avions pas de force de production pour ce dernier, et il fallait y aller vite. Pour Ubisoft, on a le temps. C’est du plus long terme. D’ailleurs, nous n’avons pas été agressifs à l’assemblée générale. Nous avons 22 % de l’entreprise. Ce n’est pas la même dimension de temps.

Combien de temps vous donnez-vous pour voir si votre stratégie marche avec Gameloft ?

Nous ne nous sommes pas donné de date butoir. Déjà sur les 70 propositions de jeux que nous étudions actuellement, si deux ou trois sont originales et fonctionnent, ce que j’espère, ce sera déjà bien.