Dès les premières lignes, le ton est donné : « Il n’existe pas de “théorie du genre”. » A quelques jours du retour de La Manif pour tous dans la rue, dimanche 16 octobre, et après une nouvelle polémique lancée par le pape au début d’octobre sur le contenu des manuels scolaires français, qui inciteraient les élèves à aller « contre les choses naturelles », la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale a adopté, mardi 11 octobre, un rapport qui prend à contre-pied ces attaques.

L’objectif de la députée (PS) Maud Olivier, rapporteure de la délégation, est clair : débarrasser le mot « genre » de son aura sulfureuse, dresser l’inventaire des travaux de chercheurs sur le sujet, et inciter les pouvoirs publics à les utiliser davantage.

« Le terme a fait l’objet d’une campagne de désinformation. Je voulais mettre en avant l’existence des travaux scientifiques sérieux menés sur le sujet depuis de nombreuses années, explique la députée, qui a auditionné une vingtaine de personnes, en majorité des universitaires. Ces travaux sont importants pour lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes, car ils font comprendre en quoi les différences entre les sexes sont socialement construites, et comment cela joue négativement pour les femmes, et parfois pour les hommes. »

Dans les annexes du rapport, qui reproduisent les auditions de la mission d’information, la sociologue Laure Bereni, chargée de recherche au CNRS, répond dans le détail aux attaques des militants « anti-genre » qui redoutent que ce concept ne serve à promouvoir une indifférenciation des sexes dans la société, plus particulièrement chez les jeunes.

Outil d’identification des inégalités

« [Le concept de genre] ne revient pas à nier la matérialité des corps ou la biologie, a-t-elle expliqué aux élus. Bien sûr, il existe des différences physiologiques qui ne sont absolument pas niées (…). Les études de genre cherchent à montrer que ces différences biologiques ne s’expriment jamais de manière brute. Elles sont toujours filtrées par un système social qui va sélectionner ces différences, les mettre en saillance, leur donner un sens. »

Ce mécanisme varie en fonction des sociétés et des époques. Ainsi, en Occident, jusqu’au milieu du XXsiècle, des justifications biologiques étaient données pour écarter les femmes de certaines professions. « Elles ne pouvaient pas être avocates parce qu’on pensait qu’elles n’avaient pas voix suffisante, et qu’elles seraient trop sensibles et soumises à leurs humeurs », rappelle la chercheuse pour illustrer son propos.

Le genre est un outil d’identification des stéréotypes sexistes et des inégalités, rappelle le rapport. Dès l’origine, il a aussi été un instrument de contestation. « Les études de genre ne se contentent pas de dire qu’il y a des rôles sociaux féminins et masculins, elles disent plus que cela, explique Mme Bereni. Il existe une asymétrie systématique entre les femmes et les hommes, et dans la plupart des sociétés, les ressources matérielles ou symboliques sont distribuées de manière inégale. »

L’école n’est « pas neutre »

Cette vision heurte les opposants au concept de genre, qui comme les militants de La Manif pour tous défendent une répartition traditionnelle des rôles dans la famille, fondée sur la complémentarité hiérarchique des sexes.

« Chaque instance de socialisation (famille, école, médias, ou tout autre environnement social) participe à la reproduction de rôles sexués stéréotypés », écrit Maud Olivier, qui cite des études montrant que dès le cinquième mois de grossesse, le comportement des parents change selon le sexe annoncé de l’enfant.

L’école n’est « pas neutre » non plus, selon elle. Les filles participent davantage aux jeux d’imitation (dînette, poupée), tandis que les garçons prennent part aux jeux de construction. Les pratiques sportives sont différenciées, les qualités louées ne sont pas les mêmes (les petites filles sont félicitées pour leur apparence ou l’esthétique de leurs créations, les garçons pour leurs performances), etc.

Autocensure chez les filles

Des distinctions qui conduisent à développer des compétences différentes, et in fine, engendrent de l’autocensure chez les filles, qui s’orientent vers des filières moins prestigieuses malgré de bons résultats scolaires. Loin de récuser l’apport du genre dans l’éducation, la députée appelle au contraire à l’utiliser davantage, à la fois dans la formation des professeurs et dans les manuels.

Le concept pourrait également trouver des applications dans l’urbanisme et la santé, où les stéréotypes conduisent par exemple à sous-diagnostiquer certaines maladies identifiées comme masculines (maladies cardio-vasculaires) ou féminines (ostéoporose) chez le sexe opposé. Elle formule 24 recommandations dans ce sens. Le rapport n’a pas fait polémique à l’Assemblée. La délégation aux droits des femmes, composée d’élus de toutes tendances politiques, l’a voté à l’unanimité.