Amazon. | LIONEL BONAVENTURE / AFP

Ne pas rester trop longtemps les bras croisés et se jeter hardiment dans la bataille. C’est l’option choisie par Amazon, mercredi 12 octobre, en annonçant le lancement, à prix cassé, d’un service musical de streaming aux Etats-Unis. Amazon Music Unlimited est proposé à 3,99 dollars (3,62 euros) par mois aux utilisateurs d’Echo, cette enceinte dotée d’un assistant intelligent développée par la firme de Jeff Bezos.

Amazon, qui proposait déjà deux millions d’œuvres musicales en ligne, passe à la vitesse supérieure avec « un catalogue de dizaines de millions de chansons et de milliers de playlists ». Ce nouveau service sera aussi proposé en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Autriche avant la fin de l’année.

Amazon vient concurrencer Spotify, Deezer, Apple Music et les services de flux musical en continu, généralement commercialisés à 9,99 dollars par mois. Le groupe de Seattle facturera 7,99 dollars par mois ou 79 dollars par an à ses abonnés Amazon Prime (on en recense 60 millions au niveau mondial), mais 9,99 dollars pour tous les autres amateurs de musique. Une offre familiale – prévue pour une utilisation simultanée par six personnes – coûtera 14,99 dollars par mois.

« Treize milliards de morceaux ont été écoutés sur les plates-formes audio [hors YouTube] au cours des six premiers mois de l’année, contre 7,5 milliards au premier semestre 2015 »

Amazon cherche donc à séduire de nouveaux adeptes d’Echo. Depuis deux ans, si ce petit boîtier donne la météo, effectue des achats sur Internet, contrôle les objets connectés à domicile, il était surtout utilisé pour écouter de la musique. Désormais, il en diffusera bien davantage. « Même si vous ne connaissez pas le nom de la chanson mais que vous pouvez en donner quelques paroles », Echo la trouvera, a promis Jeff Bezos. Après une première phase de croissance du streaming via le téléphone, Amazon parie sur la maison.

Le marché de la musique a repris des couleurs grâce au streaming. Il a fortement dopé le secteur aux Etats-Unis, où il a enregistré sa plus forte croissance depuis quinze ans au premier semestre 2016. Selon Recording Industry Association of America, 18,3 millions d’abonnés à des services payants de streaming (Spotify, Apple Music, Tidal...) étaient recensés fin juin. Deux fois plus qu’à la même période un an plus tôt.

En France, c’est également « ce qui permet d’entrevoir un retour à la croissance du secteur », explique Guillaume Leblanc, directeur général du syndical national de l’édition phonographique (SNEP). L’arrivée d’un nouvel acteur, même si Amazon n’a pas dévoilé son calendrier pour étendre son offre à l’Hexagone, « sera une bonne chose pour le marché », dit-il. « Quand Apple Music est apparu, cela n’a pas empêché Spotify de poursuivre sa croissance », assure-t-il. Preuve qu’il y a de la place pour tous.

« L’usage du streaming poursuit sa révolution en France. Treize milliards de morceaux ont été écoutés sur les plates-formes audio [hors YouTube] au cours des six premiers mois de l’année, contre 7,5 milliards au premier semestre 2015 », assure M. Leblanc. Une croissance là aussi exponentielle.

Distorsion du marché

 « Après Cdiscount qui vient de lancer en France son offre streaming, Amazon ne devrait pas tarder. C’est bien, cela contribue à démocratiser ce marché », abonde Thierry Chassagne, président de Warner Music France. C’est, selon lui, un marché « à plusieurs vitesses, qui varie selon les publics ». L’électro fait partie des plus demandés. Ainsi, 70 % des ventes du duo d’électro-pop Synapson s’effectuent en digital alors que celles de Renaud – très importantes en CD – restent quasi inexistantes en numérique. « Le groupe de pop britannique Coldplay, qui vient de remplir quatre stades en une semaine, ne vend paradoxalement que 30 % en digital », note-t-il. Ces disparités s’expliquent, selon M. Chassagne, « par le fait qu’il existe encore en France un important réseau de distribution physique ».

Les auteurs et producteurs bénéficient-ils de cet essor de la musique en ligne ? « Les rémunérations des ayants droit sont proportionnelles aux parts de marché de répertoire dans les écoutes globales », explique Stéphan Bourdoiseau, le président fondateur du groupe indépendant Wagram Music. La rémunération s’effectue donc en fonction du comportement des auditeurs. Les jeunes peuvent écouter énormément de musique – parfois 32 heures par semaine – tandis qu’un sexagénaire peut se contenter de trois heures de classique le dimanche matin. Si bien qu’à terme, les majors pourraient être incitées à produire davantage de musiques urbaines, rap, électro et électro dance, les plus écoutés en streaming donc « celles sur lesquelles l’argent tombe », selon M. Bourdoiseau. Cette distorsion du marché s’ajoute à celle, plus criante encore, de la rémunération des ayants droit : un morceau de musique diffusé sur YouTube rapporte 54 fois moins aux ayants droit que sur Deezer ou Spotify.