Le président de la FIFA, Gianni Infantino, le 5 octobre à Zurich. | FABRICE COFFRINI / AFP

C’est une « feuille de route » qui est censée fixer les objectifs de la Fédération internationale de football (FIFA) jusqu’au Mondial 2026. Soit pour une décennie. Ce document intitulé « FIFA 2.0 : la vision pour le futur » a été présenté, jeudi 13 octobre, par le Suisse Gianni Infantino, numéro un de l’instance planétaire, lors d’une réunion de son conseil (ex-comité exécutif) désormais élargi à 37 membres. Au siège de l’organisation, à Zurich, le patron du foot mondial a énuméré les grandes lignes de ce plan pour « étendre efficacement le jeu, améliorer l’expérience footballistique des fans et des joueurs et construire une institution plus solide ».

En publiant ce qui est présenté comme « un document vivant qui n’est pas définitif », le nouveau patron de l’organisation entend inscrire son règne dans la durée, fixer des objectifs sur le long terme et surtout mettre en valeur sa propre action, se posant ainsi en réformateur.

  • « Accroître le nombre de pratiquants »

Dans ce document, transmis au Monde par la FIFA, Infantino promet de distribuer 4 milliards de dollars aux 211 fédérations nationales membres de l’organisation « pour le développement du football sur la prochaine décennie ». Elu le 26 février après la suspension de son prédécesseur et compatriote Sepp Blatter, l’Helvète entend verser 100 millions de dollars annuels pour « professionnaliser l’administration du football » et 315 millions de dollars pour « encourager le développement du football féminin ».

Gianni Infantino souhaite, en outre, « accroître le nombre de pratiquants, de 45 à 60 % de la population mondiale ». Son objectif est de doubler le nombre de femmes qui jouent au foot en 2026, en atteignant le seuil de 60 millions de pratiquantes. Celui qui avait promis de « restaurer la crédibilité de la FIFA », minée une litanie d’affaires de corruption, veut changer le mode de contrôle de la billetterie du Mondial en la plaçant sous la tutelle de la Fédération internationale. Un groupe de travail est censé se pencher sur cette question « avant le Mondial 2022 au Qatar ». Gianni Infantino veut par ailleurs transformer le comité d’organisation local (LOC) des Mondiaux en une « cellule de management centralisé », qui « garantit un contrôle de l’argent de la FIFA ». Dans cette optique, un groupe de travail sera ainsi mis en place « à partir du Mondial 2022 ».

  • « Réexaminer le processus d’attribution des Coupes du monde »

Alors que les conditions d’attribution des Mondiaux 2018 et 2022, respectivement à la Russie et au Qatar, font actuellement l’objet d’une enquête du parquet suisse, le président de la FIFA souhaite « réexaminer le processus actuel d’attribution des Coupes du monde », qui est actuellement l’apanage des 211 fédérations membres. « Les candidats à l’attribution qui ne respectent pas les critères techniques requis seront exclus par l’administration de la FIFA », assure le document.

Par ailleurs, Infantino veut « développer une stratégie digitale, créer une interaction pour renforcer la relation entre la FIFA et les supporteurs », et accroître le rôle de l’instance sur le juteux marché de l’« eSports », le sport électronique.

Gianni Infantino, en février à Zurich. | FABRICE COFFRINI / AFP

La Fédération internationale entend aussi créer onze bureaux régionaux « dans des endroits clés » en 2018 pour « répondre davantage aux besoins des associations et contrôler les programmes de développement ». Elle rappelle qu’un nouveau programme de développement (« FIFA Forward ») a été enclenché pour la distribution de la manne financière aux associations.

  • « Renforcer la surveillance des flux d’argent »

C’est l’un des objectifs affichés : le renforcement de « la surveillance des flux d’argent, rationaliser les structures internes pour instituer une plus grande transparence ».

L’instance rappelle aussi que désormais les décisions relatives aux « contrats commerciaux » sont prises par l’administration (et non plus par le conseil) et qu’elle a installé un nouveau directeur financier (le Suisse Thomas Peyer), un nouveau directeur de la conformité (l’Américain Edward Hanover), un nouveau patron de la commission d’audit et de conformité (le Slovène Tomaz Vesel), un nouveau secrétaire général adjoint au football (l’ex-joueur croate Zvonimir Boban) et un nouveau directeur du développement technique (l’ancien joueur néerlandais Marco van Basten).

Le document prend aussi la peine de rappeler que la FIFA a publié les salaires et bonus de ses principaux dirigeants et traité le problème « des abus dans les dépenses de l’administration ».

  • Un plan de communication

Sur la lancée des réformes (limite de mandats) déjà entérinées le 26 février, avant l’élection d’Infantino, cette feuille de route s’inscrit dans un plan de communication censé redonner une virginité à l’instance planétaire. Il a été initié, en mars, par la publication d’une missive dans laquelle la FIFA réclamait 38 millions de dollars de dédommagements à ses ex-dirigeants actuellement inculpés par la justice américaine. Cette « opération transparence » s’était prolongée, en juin, avec la diffusion d’un rapport qui révélait que l’ex-président Sepp Blatter (1998-2016), l’ancien secrétaire général Jérôme Valcke et l’ex-directeur financier Markus Kattner s’étaient partagé, de 2011 à 2015, 80 millions de dollars en augmentation de salaires et autres bonus liés aux résultats des Coupes du monde. Depuis le 9 septembre, les trois anciens dirigeants font d’ailleurs l’objet d’une enquête formelle de la chambre d’instruction du comité d’éthique de la FIFA.

L’ex-président de la FIFA, Sepp Blatter, en 2010. | SEBASTIAN DERUNGS / AFP

  • Des mesures symboliques ou une réelle rupture ?

Dans cette logique de rupture avec le passé, les membres du conseil de la FIFA ne logent plus à l’hôtel du Baur au lac de Zurich, établissement luxueux où avait eu lieu le coup de filet réalisé par la police suisse le 27 mai 2015. Une vague d’arrestations qui avait entraîné, à terme, la chute de Sepp Blatter. En signe d’ouverture, la traditionnelle conférence de presse du patron de la FIFA au terme des réunions du conseil a été remplacée par une « zone mixte », espace moins formel dévolu aux échanges avec les journalistes.

Ce plan de communication intervient aussi alors que le début de règne de Gianni Infantino a été chaotique. Récemment, son projet d’une Coupe du monde élargie à 48 équipes (contre 32 actuellement) a suscité la polémique. Alors que son nom a été cité, en avril, dans l’affaire des « Panama papers », l’ex-bras droit de Michel Platini a mis six mois avant de régler la question de son contrat et de son salaire annuel (fixé, fin août, à 1,5 million de francs suisses). Il s’est distingué, en mai, lors du congrès de Mexico, en faisant adopter un amendement controversé qui donne au conseil de la FIFA le pouvoir de nommer et destituer les membres des comités d’éthique et d’audit et de conformité.

Le 5 août, Infantino a d’ailleurs été blanchi par son comité d’éthique au terme de deux enquêtes, préliminaire et formelle. Le tribunal interne de la FIFA s’était penché notamment sur la situation contractuelle de Gianni Infantino et sur une série de plaintes pour d’éventuels abus dans les dépenses, compilées dans un mémo interne, et autres voyages effectués en avions privés.

Selon la chaîne américaine ESPN, Gianni Infantino ferait l’objet d’une enquête du comité d’éthique pour un prêt douteux de 4 millions d’euros fait par l’UEFA, à l’été 2015, à la Fédération slovène présidée alors par Aleksander Ceferin, élu le 14 septembre à la tête de la Confédération européenne… avec le soutien tacite du patron de la FIFA. Or, selon les informations du Monde, aucune enquête n’a été ouverte en l’état, en l’absence de preuves tangibles.

« Il y a des forces qui, peut-être, ne veulent pas que les choses changent ou sortent, a confié à la chaîne américaine CNN, mercredi, un Infantino désireux de faire table rase du passé. Je ne me préoccupe pas de savoir qui elles sont. Je suis mon chemin. » Une route qu’il espère très longue.