« Shadow Warrior 2 ». | Devolver

Curieuses trajectoires que celles des deux frères Duke Nukem 3D et Shadow Warrior. Deux antiques jeux vidéo de tir, développés respectivement en 1996 et 1997 par le studio 3D Realms, le premier parodiant le cinéma d’action américain, le second jouant avec les codes des films de ninja. Deux véritables jumeaux séparés à la naissance et qui, hasard du calendrier, se retrouvent cette semaine dans l’actualité.

Des retrouvailles un peu amères, de celles qui nous font dire que décidément, la vie passe trop vite. A gauche donc, la sortie mardi 11 octobre de Duke Nukem 3D World Tour sur Windows, PlayStation 4 et Xbox One, énième réédition quasi-identique à l’original, tout juste agrémentée d’un nouveau chapitre « à l’ancienne ». A droite, Shadow Warrior 2 le mal nommé, qui paraît jeudi 13 octobre sur Windows. Le troisième volet des aventures de Lo Wang, modernes, repensées, réimaginées, bref : méconnaissables.

Deux jumeaux, et deux façons d’envisager le troisième âge dans le monde sans pitié du jeu vidéo. Duke Nukem 3D, désormais retraité, préfère ressortir une nouvelle fois l’album photo de sa gloire passée. Celle de l’époque où, pendant quelques mois, il fut le roi du jeu de tir. Shadow Warrior, lui, ne peut pas compter sur un tel héritage. Eclipsé en 1997 par son frère plus charismatique, plus révolutionnaire, il s’est depuis fait oublier : c’est tout juste si, en 2013, il nous a envoyé une timide carte postale en forme de reboot sympathique. Alors pour se faire remarquer, il tente une manœuvre presque inédite en 2016 : l’audace.

Shadow Warrior 2 - Who Wants Some Wang Trailer
Durée : 01:30

Outrancier et assumé

Lo Wang est un jeune homme inconséquent fasciné par l’imagerie ninja, adepte autant du katana que des uzis, qui finance son goût des voitures de sport en accomplissant quelques menus larcins pour la pègre locale. Une chose en entraînant une autre, on l’avait quitté à la fin de l’épisode de 2013 chassant des hordes de démons à coups de pouvoirs magiques, dans un grand festival de tripes et de sang versé.

Un côté outrancier totalement assumé : le Shadow Warrior cuvée 2013 était même livré avec un mini-jeu absurde, Viscera Cleanup Detail, qui nous mettait dans la peau d’un agent d’entretien chargé de nettoyer les niveaux après que Lo Wang les a intégralement repeints couleur hémoglobine. A l’époque déjà, ce gore excessif était à peu près tout ce qui liait encore Shadow Warrior à l’épisode de 1997.

L’action envisagée comme un ballet

Nous sommes en 2016, et Lo Wang a encore gagné en maturité. L’essentiel est toujours là : Shadow Warrior 2, c’est l’anti Call of Duty. Un jeu qui ne se prend jamais au sérieux, et qui n’essaye surtout pas de singer la réalité. On y affronte des démons grotesques à coups d’armes impossibles en s’en remettant aux bons vieux mécanismes des jeux de tir de la préhistoire. Shadow Warrior 2 réhabilite la dimension chorégraphique du jeu de tir, préférant faire confiance à l’agilité tactique du joueur, plutôt que de le surprotéger à coup de murets derrière lesquels se cacher, ou de jauge de vie qui se remplit toute seule.

Shadow Warrior 2 | Devolver

Au corps à corps comme à distance, les combats s’envisagent comme autant de ballets, où il convient d’évaluer ses assaillants, de prioriser ses cibles, en parant au plus urgent tout en évitant les coups et les projectiles. On pense évidemment au dernier Doom, même si Shadow Warrior 2 est un poil plus classique : au lieu de miser sur la verticalité, il élève rarement ses affrontements au-dessus du niveau du sol, comptant sur nos pouvoirs spéciaux et la capacité de « dash » du héros (qui peut, à volonté, se jeter vers le côté ou vers l’avant) pour nous laisser nous approprier le champ de bataille. Logique, pour un ninja démoniaque.

L’influence « Borderlands »

Mais plus qu’un simple divertissement bas du front, Shadow Warrior a aussi gagné en densité, s’inspirant notamment de ce qui se fait du côté de chez Borderlands (développé en partie, comme le monde est petit, par des anciens de chez 3D Realms). Pas que le propos soit beaucoup plus profond, mais plutôt que le jeu de tir intègre désormais quelques mécaniques de jeu de rôle.

Par exemple, on choisit ses niveaux au lieu de les enchaîner dans un ordre préétabli, et on fait des pauses en ville pour faire le plein de missions ou de matériel. Surtout, Shadow Warrior 2 nous abreuve d’armes toutes plus improbables les unes que les autres. Pour parer à toute éventualité, on peut même les personnaliser à l’envi grâce aux multiples petits modules qu’on trouvera partout, sur les corps des ennemis abattus et dans les coffres qui parsèment les très vastes niveaux.

Car à l’image de son évident modèle Borderlands, Shadow Warrior s’est mué en jeu pour maniaque de la gâchette autant que de la collectionnite. Pour les esthètes de la statistique, pour ceux qui vont comparer longtemps les mérites respectifs de cette griffe de démon +12 % en précision avec ceux de ce fusil à vapeur qui recharge 3 % plus vite.

« Shadow Warrior 2 ». | Devolver

Un nouveau contrat

En revanche, là où Shadow Warrior 2 déçoit un peu, c’est sur son ton. Pourtant rarement exploré dans le jeu de tir (le Japon des Yakuzas), son univers reste loin de pouvoir rivaliser avec celui, cartoon et post-apocalyptique, du génial Borderlands.

Idem pour l’humour : on peut juste compter, pour se muscler les zygomatiques, sur la répartie vulgaire de son héros bavard, suffisant et du reste assez désagréable. On est loin de l’humour hyperréférencé du premier Shadow Warrior, celui de 1997, et surtout à des années-lumière de celui totalement délirant de Borderlands, un des jeux les plus drôles de la décennie écoulée.

Ce rendez-vous manqué mis à part, il faut reconnaître cet immense mérite à Shadow Warrior 2 : en redéfinissant aussi radicalement son contrat avec le joueur, il réussit ce qu’aucun des épisodes précédents n’avait ne serait-ce qu’approché, à savoir offrir une proposition ludique viable, riche, profonde et, au final, plutôt originale.

Loin d’être un simple jeu pour nostalgiques, il replace le jumeau longtemps oublié sur la carte. Mieux : tandis que Duke Nukem n’en finit plus de se complaire dans l’auto-hommage, le frère jadis honni assume de détourner le regard de son passé, pour mieux nous prouver qu’il a un avenir. Celui d’une licence sur laquelle il faudra désormais compter.

En bref

On a aimé :

  • Le courage d’aller se frotter à l’excellent Borderlands
  • Les affrontements, tactiques et nerveux
  • La générosité en contenu

On n’a pas aimé :

  • L’humour plus vulgaire qu’amusant
  • L’univers encore un peu générique
  • Trop bavard pour un jeu d’action

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous êtes à la recherche d’un pur défouloir, pour un ou quatre joueurs
  • Vous avez toujours rêvé de visiter le Japon et/ou des dimensions démoniaques
  • Vous préférez les jeux qui se réinventent plutôt que de se reposer sur leurs lauriers

Ce n’est plutôt pas pour vous si…

  • La vue du sang vous incommode
  • Les chiffres vous effraient
  • Vous jouez sur PlayStation 4 ou Xbox One (auquel cas il vous faudra attendre la version console, prévue pour début 2017)

La note de Pixels :

142 armes à collectionner/200 ennemis à découper en rondelles