Sur la promenade des Anglais, à Nice, le 18 juillet. | PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

Trois mois après l’attentat qui a coûté la vie à 86 personnes à Nice le 14 juillet, les questions sont toujours là, obsédantes pour les familles des victimes : les autorités avaient-elles déployé suffisamment de moyens pour sécuriser l’événement ? Comment le camion du tueur a-t-il pu circuler sur la promenade des Anglais, pourtant interdite aux poids lourds ?

Le procureur de la République de Nice, Jean-Michel Prêtre, chargé de l’enquête sur la préparation et la sécurisation du feu d’artifice, devrait rendre ses conclusions « d’ici quelques semaines », affirme-t-il au Monde. Trois possibilités ensuite : ouvrir une information judiciaire, saisir le tribunal correctionnel ou classer l’affaire sans suite.

« La question qui se pose, c’est de savoir si, pour le feu d’artifice du 14-Juillet, il fallait prendre en compte un risque de cette nature [un attentat avec un camion], oui ou non ? Si oui, est-ce que les dispositifs mis en place répondaient à cette exigence, oui ou non ? », expliquait-il le mois dernier.

Le code pénal sanctionne la mise en danger d’autrui lorsqu’elle résulte d’une violation manifestement délibérée des lois et règlements, ou de négligence très grave concernant la sécurité. Autrement dit, le fait d’avoir connaissance du danger et de ne pas mettre les moyens à la hauteur du risque.

Neuf plaintes reçues au parquet de Nice

L’enquête du procureur a été ouverte sur la base de neuf plaintes reçues au parquet de Nice depuis le 14 juillet, « non pas contre le terroriste, mais contre l’organisateur et les différents services qui ont la responsabilité dans la sécurité, donc la ville et l’Etat », précise Jean-Michel Prêtre. L’enquête concernant l’attentat lui-même est instruite à Paris.

Parmi les plaignants, quatre familles ont demandé à ce que l’enquête ne soit pas aux mains du parquet, mais qu’elle soit confiée à des juges d’instruction. Leur avocat, Yassine Bouzrou, dit avoir saisi le procureur de la République de Nice en septembre à ce sujet, sans obtenir de réponse pour l’instant. En cas de refus, il pourra malgré tout saisir un juge d’instruction trois mois après son dépôt de plainte.

« Le statut du procureur ne permettra pas de faire une enquête indépendante, estime-t-il. Je vois mal comment il pourrait dire que le ministère de l’intérieur a mal agi. D’où ma demande d’avoir des juges d’instruction ; ce qui permettrait par ailleurs aux familles de se constituer parties civiles et d’avoir accès à l’enquête. »

Les révélations de la vidéosurveillance

Selon Yassine Bouzrou, qui explique avoir été saisi par « cinq ou six nouvelles familles » depuis, les dernières révélations sur le dispositif sécuritaire ont rendu cette demande plus pressante encore.

Après avoir étudié les images des caméras de vidéosurveillance du 14 juillet au soir, les enquêteurs de la sous-direction antiterroriste (SDAT) ont déterminé que Mohamed Lahouaiej Bouhlel, l’auteur de l’attentat, avait circulé à onze reprises sur la promenade des Anglais avec son poids lourd de 19 tonnes avant de passer à l’acte.

L’émission « Quotidien », qui a consulté le document de la SDAT, a révélé le 29 septembre qu’il n’y avait qu’« une voiture de police nationale sur la promenade des Anglais », et non plusieurs, comme l’avait affirmé le ministre de l’intérieur. Le 16 juillet, Bernard Cazeneuve avait déclaré que « la police nationale était présente et très présente » sur les lieux de l’attaque, et que « des véhicules de police rendaient impossible le franchissement de la promenade des Anglais ».

Au ministère de l’intérieur, on appelle à « la plus grande vigilance, car un élément d’enquête pris isolément ne permet pas de tirer des conclusions ». « L’élément sur le véhicule de police ne serait donné qu’à partir d’une seule caméra, d’après ce que des journalistes m’ont rapporté », avance la même source, rappelant que « l’enquête de la SDAT est toujours en cours ». Sollicitée, la SDAT n’a pas souhaité nous répondre.

Un dispositif sécuritaire « pas sous-dimensionné »

Les polémiques ont surgi au lendemain de l’attentat, opposant les élus locaux – le président de la métropole Nice Côte d’Azur, Christian Estrosi, en tête – au gouvernement. Pour tenter de les apaiser, le ministre de l’intérieur avait demandé le 21 juillet un rapport à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) sur le dispositif de sécurité le soir du 14-Juillet à Nice. La « police des polices » avait conclu que celui-ci « n’était pas sous-dimensionné ». Relevant que ce dispositif « n’était pas adapté à ce type d’attaque dont la nouveauté et l’intensité étaient au-delà de toute prévision », l’IGPN avait fait savoir qu’il était « pertinent dans son principe ».

Les controverses ont repris de plus belle lorsque la cheffe du service pilotant la vidéosurveillance de la police municipale de Nice, Sandra Bertin, a affirmé avoir subi des pressions de la Place Beauvau pour modifier son rapport sur le dispositif de sécurité. Deux enquêtes préliminaires ont été ouvertes par la justice après ces accusations : l’une à Nice pour « abus d’autorité », l’autre à Paris pour « diffamation ».