Un soldat de l’Armée syrienne libre aux abords de Dabiq, en Syrie, le 15 octobre. | NAZEER AL-KHATIB / AFP

L’« Armageddon » promis par l’organisation Etat islamique (EI) attendra. Après 48 heures de pilonnages intensifs par l’artillerie et l’aviation turque, des groupes de l’Armée syrienne libre (ASL) sont entrés, dimanche 16 avril, dans la petite ville symbole de Dabiq, dans le nord de la Syrie, dont les djihadistes promettaient qu’elle serait le « tombeau » final des « croisés ».

Même les forces spéciales d’Ankara, par nature discrètes, se livraient dans la matinée aux « selfies » de circonstance, bras dessus, bras dessous, avec les rebelles syriens dans les ruelles et rues désertées de cette ville syrienne sise à une dizaine de kilomètres de la frontière turque.

Presque insignifiante au niveau militaire, la prise de Dabiq est surtout symbolique. Petite bourgade rurale, qui comptait moins de 5 000 habitants avant-guerre, elle est devenue bien malgré elle un élément central de la propagande millénariste de l’EI.

Au cœur de la propagande djihadiste

La petite ville était jusque-là connue pour abriter le mausolée du septième calife de la dynastie omeyyade, Sulayman Ibn Abd Al-Malik, que les djihadistes ne sont pas privés de détruire à l’été 2014 au nom de la lutte contre les « symboles idolâtres ».

Elle a acquis sa « renommée » après avoir été mentionnée à outrance par l’EI comme lieu symbole d’une tradition prophétique particulièrement populaire chez certains djihadistes : celle de la dernière heure. Un hadith (dire) attribué prophète Mahomet évoque une bataille décisive qui devait opposer les musulmans et les Romains, les Byzantins à l’époque. Lesquels sont aujourd’hui les « Croisés » et les Occidentaux, dans la propagande de l’EI.

Un slogan qui n’est pas nouveau : le « père » de l’EI, le Jordanien Abou Moussab Al-Zarkaoui, ancien chef d’Al-Qaida en Irak, en usait déjà en 2006 :

« L’étincelle a été allumée en Irak et [est devenue] un feu qui brûlera, par la volonté d’Allah, jusqu’à ce qu’ils aient consumé les armées de la croix à Dabiq. »

La ville a également donné à l’EI le titre de son mensuel en langue anglaise, un magazine de propagande diffusé depuis 2004 et jusqu’à l’été dernier sur Internet à destination d’un public occidental. Une intention répétée d’utiliser l’imagerie apocalyptique à l’usage de ses sympathisants occidentaux.

« La dimension apocalyptique est aussi une projection occidentale »

« Aucun djihadiste irakien ou syrien ne s’est jamais engagé dans le groupe pour Dabiq », tempère Hosham Dawod, anthropologue au CNRS et spécialiste de la société irakienne.

« Daech a recruté en mettant en avant son profil de défenseur des musulmans sunnites ou son projet territorial. Cette prophétie a certes servi à la nouvelle génération djihadiste, en rupture avec les anciens, comme justification idéale et élément de mobilisation symbolique. Mais il ne faut pas l’exagérer. Cette dimension apocalyptique est aussi une projection occidentale à laquelle Daech répond et [que le groupe] cherche à alimenter. »

Une « prophétie » qu’a notamment agitée le groupe avec un assassinat : celui d’un otage américain, Peter Kassig. Cet ancien militaire américain, engagé comme travailleur humanitaire en Syrie, a été assassiné en novembre 2014 aux abords de la localité par Mohammed Emwazi, dit « Jihadi John », le bourreau britannique de l’organisation tué en novembre 2015 par une frappe de la coalition occidentale. Dans la vidéo mettant en scène l’assassinat, Emwazi plastronnait :

« Ici, nous enterrons le premier croisé à Dabiq, en attendant que le reste de vos armées arrive. »

En guise d’armées croisées, ce sont donc des rebelles syriens sunnites, appuyés par la Turquie, qui ont expulsé les djihadistes de leur « village mythique ». Des rebelles qui, dans l’élan de leur victoire à Dabiq et après avoir « écrasé Daech », promettaient le même sort aux forces du régime syrien qui encerclent et pilonnent les quartiers orientaux d’Alep, acquis à la rébellion. Une autre paire de manche.

Pour ce qui est de l’EI, « ce qui se passe sur le terrain à Mossoul, où la bataille se prépare, et à Rakka, est infiniment plus important pour l’avenir du groupe que la chute de Dabiq », conclut Hosham Dawod. Si bataille décisive il doit y avoir, elle aura lieu dans les bastions de l’Etat islamique.

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