Des habitants d’Abalak passent près d’un pick-up de la garde nationale du Niger, en 2012. L’otage américaine a été enlevé dans cette ville du centre du pays. | ISSOUF SANOGO / AFP

Un travailleur humanitaire américain, Jeffery Woodke, a été enlevé dans la soirée du vendredi 14 octobre à Abalak, une préfecture de la région de Tahoua à 350 km au nord-est de Niamey, la capitale du Niger. Deux personnes ont été tuées dans une fusillade précédant le rapt. « On pense que c’est le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest), a déclaré à l’AFP le ministre nigérien de l’Intérieur, Mohamed Bazoum. Nous avons suivi les ravisseurs quand ils ont franchi la frontière malienne. Ceux-ci se sont dirigés vers la région de Menaka (est du Mali), près de la frontière nigérienne, une zone contrôlée par le Mujao ».

Jeffery Woodke est présent au Niger depuis 1992. Selon des sources à Abalak, il avait une excellente réputation grâce à son travail pour JEMED, une ONG américaine d’inspiration chrétienne. Lui-même croyant convaincu, il s’abstenait pourtant de tout prosélytisme. En 2006, ses deux fils ayant grandi avec lui au Niger sont allés poursuivre leurs études supérieures aux Etats-Unis, avec leur mère. Depuis lors, M. Woodke partageait son temps entre les Etats-Unis, Niamey et Abalak où son ONG faisait du développement intégré, creusant des puits pastoraux jusqu’à 140 m de profondeur, et construisait des écoles. « Il travaillait très bien. Il travaillait à cause de Dieu », confie l’un de ses anciens employés. C’est dans la communauté peule qu’il était le plus engagé, parlant d’ailleurs couramment le fulfulde, la langue peule, et un peu moins bien le tamachec (la langue des touareg), ainsi que l’arabe.

L’otage s’est d’abord débattu

Vendredi 14 octobre à 20 h 20, l’heure de la traite dans cette bourgade pastorale, une moto et un pick-up double cabine Toyota Hilux couleur kaki se sont arrêtés devant le mur est de sa maison, lequel s’était effondré lors de récentes inondations. Par la brèche ainsi ouverte, les assaillants ont tiré et tué le gardien de la maison, Almajoub Alkassoum, ainsi que l’un des deux gardes nationaux en faction, Mahamoud Youssouf. Ils ont ensuite tenté de se saisir de Jeffery Woodke, qui s’est débattu et a réussi à s’échapper chez son voisin, Bilou Mohamed, le maire d’Abalak. Alertés par les coups de feu, les témoins se sont mis à l’abri mais ont pu constater que c’est sous un hangar dans la cour du maire que M. Woodke s’est finalement fait prendre, après avoir reçu un coup de crosse.

A la demande du préfet d’Abalak, Jeffery Woodke avait loué les services de deux gardes nationaux pour sa sécurité. Ils étaient payés par l’ONG. Le premier a été abattu dès l’arrivée des ravisseurs, le second a pris la fuite au moment de l’attaque. Samedi 15 octobre, Abalak était en deuil pour l’enterrement des deux victimes. Selon l’un de ses proches, M. Woodke était en mission de suivi au moment de son enlèvement. Il craignait un événement de ce genre et ne séjournait qu’occasionnellement à Abalak.

Empêcher l’infiltration de groupes armés

La région de Tahoua, où s’est produit le rapt, est instable. Le 7 octobre, 22 soldats nigériens y avaient péri lors d’une attaque d’hommes armés venus du Mali contre un site de réfugiés maliens à Tazalit. Trois militaires avaient aussi été blessés.

Pour empêcher l’infiltration de groupes armés, le Niger a déployé un important contingent le long de son énorme frontière avec le Mali, théâtre de plusieurs attaques. Sur le plan diplomatique, Niamey ne cesse de réclamer une résolution du conflit chez son voisin.

La chancelière allemande Angela Merkel avec le président du Niger Mahamadou Issoufou à Niamey le 10 octobre 2016. | BOUREIMA HAMA / AFP

« Régler le problème de la sécurité au Mali, c’est également régler le problème de la sécurité au Niger », avait notamment déclaré le président Mahamadou Issoufou le 10 octobre, lors d’une visite de la chancelière allemande Angela Merkel. Le Niger doit aussi faire face, dans le Sud-Est, aux attaques incessantes des islamistes nigérians de Boko Haram.

Cinq employés d’Areva enlevés à Arlit

C’est la première fois qu’un ressortissant américain est enlevé au Niger. En janvier 2011, deux Français avaient été kidnappés dans un restaurant de Niamey et tués quelques heures plus tard, lors d’une tentative pour intercepter leurs ravisseurs.

Cinq employés du géant français du nucléaire Areva avaient été enlevés en 2010 par le groupe djihadiste Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) sur le site de la mine d’uranium d’Arlit, dans le nord du Niger. Les quatre hommes avaient été libérés en 2013, la femme retenue en otage, au début de 2011.

Selon une figure de la société civile nigérienne, Laouali Amadou, « la région de Tahoua fait partie de la zone de couverture de la base militaire américaine d’Agadez. Donc cet enlèvement de ressortissant américain n’est pas une surprise pour nous. » M. Amadou estime que la présence de forces militaires étrangères augmente l’insécurité du Niger. Une source sécuritaire haut placée a confié au contraire à l’AFP être suprise par l’enlèvement de Jeffery Woodke, car « les Américains ne payent pas de rançon ».