A Quito, en 2015. | GUILLERMO GRANJA / REUTERS

Déploiement policier imposant, avenues fermées à la circulation et barrières de sécurité délimitant, dimanche 16 octobre, l’entrée du parc du centre-ville de Quito (Equateur). Le quartier de Mariscal n’a sans doute jamais connu un tel dispositif sécuritaire, mais l’événement qu’il s’apprête à accueillir est exceptionnel lui aussi.

Du 17 au 20 octobre, tous les acteurs de la question urbaine (élus locaux, représentants de la société civile, universitaires, professionnels de l’urbanisme, secteur privé… plus de 23 000 participants au total) vont prendre la direction de la Maison de la culture équatorienne, nichée au cœur du parc, pour la troisième conférence des Nations unies sur le logement et le développement urbain durable, plus communément baptisée Habitat III (HIII).

Urbanisation anarchique

Amorcé en 1975 avec la création d’une Fondation des Nations unies pour l’habitat et les établissements humains, le principe d’un rendez-vous onusien sur l’urbanisation est acté l’année suivante à Vancouver (Canada) à l’occasion d’Habitat I. On y fait déjà le constat d’une urbanisation anarchique et de disparités criantes entre les villes et les campagnes, confiant aux Etats le soin de corriger ces dérives.

Vingt ans plus tard, à Istanbul, alors que l’urbanisation poursuit son essor, émerge la problématique du droit au logement et celle de l’accès aux services publics. Face à l’incapacité de l’Etat planificateur, Habitat II en appelle à l’action décentralisée des autorités locales pour maîtriser l’expansion urbaine.

Aujourd’hui, c’est donc la capitale andine qui se propose d’explorer « la ville, l’invention la plus complexe de l’humanité », selon Gustavo Baroja, le préfet de Pichincha, la province de Quito, l’un des orateurs de l’assemblée mondiale des maires convoquée dimanche en prélude d’Habitat III.

Nouvel agenda urbain

Mais HIII n’a pas comme seule finalité d’offrir un forum de débat et un cadre d’analyse sur la croissance des villes. « Cette troisième conférence doit aussi structurer la communauté urbaine autour d’un agenda », note Laure Criqui, chercheuse à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Les 193 pays représentés à Quito se quitteront jeudi 20 octobre sur une déclaration, fruit de deux ans de négociations préparatoires, destinée à fixer les grandes lignes de ce nouvel agenda urbain.

Bien que non contraignante, cette « déclaration de Quito » (un texte de 166 articles et 21 pages, formalisé après deux années de réunions régionales et thématiques) reste un exercice périlleux tant les enjeux relatifs à l’urbanisation – poussée migratoire, lutte contre la pauvreté, marginalisation de certains quartiers, densification des transports, pression foncière, impacts du réchauffement climatique, revendications citoyennes – évoluent vite. Beaucoup plus vite que le rythme des rendez-vous onusiens.

70 % d’urbains en 2050

« Pourquoi tenir une conférence ONU Habitat tous les vingt ans, pourquoi ne pas choisir un intervalle plus court ? », s’interroge Miguel Angel Mancera, le maire de Mexico, mégalopole de plus de 20 millions d’administrés. Selon les estimations de l’ONU, 56 % de la population mondiale vivait en milieu urbain en 2015. Ce chiffre devrait atteindre 60 % en 2030 et 70 % vers 2050, alors qu’il n’était que de 10 % au début du XXe siècle. « Les villes sont souvent perçues comme des lieux de chaos, alors qu’elles sont des moteurs positifs pour le développement », estime Laure Criqui.

« Près de 1 milliard de personnes [sur une population mondiale estimée à 7,4 milliards] vivent dans des logements indignes, les inégalités sont encore très marquées dans de très nombreux pays et dans de très nombreuses villes », s’inquiète le directeur exécutif d’ONU Habitat, le Barcelonais Joan Clos.

L’adoption en septembre 2015 de 17 objectifs du développement durable (ODD), puis trois mois plus tard d’un accord universel contre le réchauffement lors de la COP21, sont des incitations à agir. Il faut « faire en sorte que les villes soient ouvertes à tous, sûres, résilientes et durables », énonce l’ODD n°11 des Nations unies. Les villes font partie de la solution au dérèglement climatique, explique en substance l’accord de Paris sur le climat.

Trois priorités

« La question des moyens donnés aux villes pour répondre aux objectifs du développement durable » va irriguer les discussions d’Habitat III, assure la ministre du logement et de l’habitat durable Emmanuelle Cosse, attendue dans la capitale équatorienne. « On va débattre aussi du type de développement urbain que l’on juge acceptable par rapport aux défis climatiques, ajoute la chef de la délégation française. L’étalement urbain s’accompagne notamment d’un épuisement des ressources naturelles et d’une précarité énergétique. »

Le gouvernement français devrait défendre trois priorités à Quito : un pacte contre l’exclusion urbaine, un pacte pour la transition écologique et un pacte pour coproduire la ville, autrement dit pour inclure les différents acteurs du territoire dans l’action locale. La France a pour elle un avantage substantiel, elle copréside avec l’Equateur les travaux d’HIII.

Le Pérou ayant obtenu l’organisation de la COP21 en 2014, l’Equateur voulait lui aussi sa conférence internationale : ce sera Habitat III. La France en revanche n’était pas candidate pour compléter le binôme Nord-Sud qu’impose la mécanique onusienne, mais elle s’y est résolue, faute d’autres candidats parmi les pays développés.

A Nairobi, en 2009. | ©/ REUTERS

« En Europe, la question urbaine renvoie à des politiques publiques assumées, mais pour beaucoup de pays du Sud, elle reste un sujet énorme de démocratie, de droits politiques et sociaux », observe Emmanuelle Cosse. Les villes comptent bien profiter de la caisse de résonance d’Habitat III pour revendiquer un plus large pouvoir décisionnel.

« Les autorités locales doivent cesser d’être des forces d’appoint aux gouvernements nationaux, a lancé le maire de Dakar, Khalifa Sall, lors de l’assemblée mondiale réunie dimanche. Cela doit se traduire dans la mise à disposition des moyens financiers dont elles ont besoin ».