Des chaises rouges et dorées ont été alignées le long du tapis gris, déroulé au pied d’un escalier circulaire de marbre gris et entouré par des projecteurs. Le nouvel opéra d’Alger accueillait dans ses couloirs, la deuxième édition de la fashion week, du 13 au 15 octobre. « L’objectif de cet événement est de dynamiser et de développer l’industrie de la mode en Algérie », explique la coordinatrice, Linda Younga, fille de Faïza Anabella, créatrice d’une des premières maisons de couture algérienne dans les années 1970.

Par manque de formation, le métier de styliste est lié à celui de couturier et appris sur le tas, mais, surtout, la production algérienne de chaussures et de prêt-à-porter ne comble que 4 % de la demande. Dans les magasins de la capitale, ce sont principalement les vêtements importés d’Asie ou de Turquie qui remplissent les rayons. Les événements de mode sont rares. Alors, ce soir-là, pour l’ouverture, la mécanique n’est pas parfaitement huilée.

Inspirations équestres

Il est 17 heures, le défilé devrait commencer, mais à l’étage, Meriem tente encore enfiler ses bottes cavalières noires. Le mannequin de 24 ans venue d’Oran doit porter une tenue de Karim Kadid, un créateur algérois. Ce dernier vérifie que la veste noire est ajustée : « Marche pour voir ! », lance-t-il. Dans la pièce vide qui lui a été réservée, Karim Kadid, quadragénaire en jean et chemise blanche, court entre les boîtes en carton noires disposées contre le mur. Tulle, velours et broderies dorées dépassent des papiers de soie. Le mannequin défilera avec une sangle équestre dans la main. « Je suis passionné d’équitation et je m’en suis inspiré pour ma nouvelle collection », explique Karim Kadid, dont l’atelier est installé en périphérie ouest d’Alger.

Un caraco de sa nouvelle collection peut coûter 350 000 dinars (environ 2 880 euros). Chez lui, ce sont surtout des personnalités du monde de la chanson, comme la jeune Dalia Chikh, ou de la télévision qui viennent chercher une robe de soirée, ou bien encore des actrices qui veulent une tenue pour le tapis rouge d’un festival. Dans le métier depuis vingt ans, il crée désormais pour des clients réguliers. « Ça n’a pas été facile de convaincre des Algériens qui ont l’habitude de faire leur shopping sur les Champs-Elysées. Pour eux, en Algérie, les créateurs ne valent pas la peine », raconte-t-il.

Les tenues traditionnelles dominent

Dans la pièce d’en face, Zineb Ammari, 26 ans, attend toujours ses derniers mannequins. « J’ai besoin de chocolat, soupire-t-elle. Je suis stressée, comme si c’était à chaque fois mon premier défilé. » Originaire d’Annaba, Zineb, fille et petite-fille de couturière, titulaire d’un master d’ingénieur en informatique, a créé son atelier de stylisme sur les hauteurs d’Alger. Sur le portant, de longues robes brodées, des caftans, et des vestes de velours pour homme. « Mon but est de développer nos tenues traditionnelles », explique la jeune femme, dont les yeux sont soulignés de khôl noir, et les cheveux maintenus dans un foulard vert foncé. Les derniers mannequins passent entre les mains des coiffeurs. Mehdi, 22 ans, vient de Sétif. Etudiant en génie de l’environnement, il est arrivé au mannequinat en postulant dans une agence. « On ne peut pas en vivre en Algérie. Pour trois jours de défilé, on est payés 15 000 dinars (environ 123 euros) », regrette-t-il. Le jeune homme jongle entre quelques défilés privés et des publicités pour des entreprises privées, mais il rêve de travailler en France. Linda Younga passe alors la tête par la porte : « On va commencer ! »

Au rez-de-chaussée, les derniers rangs sont vides, malgré le retard. Faute de financements publics, les organisateurs ont dû faire payer l’entrée 1 500 dinars et faire appel aux sponsors : dans le hall de l’opéra, une marque de lessive propose des échantillons aux spectateurs. Lorsque le premier mannequin apparaît sur les marches, visage fermé, sa démarche est hésitante, mais elle est accueillie par des applaudissements. Dans le public, quelques acteurs, des présentateurs de télévisions privées et des femmes de grandes familles algéroises.

« On a surtout vu des tenues de cérémonie de mariage », regrette Yanis, trentenaire. « Ça pourrait être sympa d’intégrer nos tenues traditionnelles à notre vie de tous les jours », estime de son côté Mehdi, venu avec une amie. Une heure et demie plus tard, Meriem, le mannequin d’Oran, apparaît dans une robe bustier de tulle blanc. Ovation pour Eddine Belmahdi, créateur franco-algérien de 27 ans. Formé en France, il participait à son premier défilé avec une collection sobre, proche de la mode parisienne : « Les Algériennes sont très coquettes, mais en privé. Il faudrait qu’elles se permettent plus de liberté dans leur tenue dans la vie de tous les jours. »