Le premier ministre libyen d’union nationale, Faïez Sarraj, le 27 septembre 2016 à Paris. | THOMAS SAMSON / AFP

Ce n’est peut-être pas un coup d’Etat au sens classique du terme, la Libye fragmentée n’ayant plus de centralité politique à conquérir. Il ne s’agit pas moins d’un coup de force visant à déstabiliser le statu quo. En s’emparant vendredi 14 octobre du complexe Rixos, enclave hôtelière de luxe au cœur de Tripoli, transformée en siège des assemblées postrévolutionnaires, un groupe issu du défunt bloc politico-militaire Fajr Libya (Aube de la Libye, d’inclination islamiste) affiche clairement son objectif : ébranler le fragile édifice ébauché par les Occidentaux afin de sortir la Libye de son chaos post-Kadhafi.

Le dirigeant parrainé par les Nations unies, Faïez Sarraj, chef du gouvernement d’union nationale établi à Tripoli depuis sept mois et demi, s’en remettra-t-il ? Si les milices, qui ont affiché une neutralité bienveillante lors de son arrivée dans la capitale à la fin du mois de mars le soutiennent, il devrait survivre à l’épreuve. Mais le défi qui lui est lancé du cœur même de Tripoli promet sans nul doute de laisser des traces, soulignant de manière criante la précarité de son assise. Déjà confiné en Tripolitaine (Ouest) puisque la Cyrénaïque (Est) le rejette, M. Sarraj se voit désormais affaibli au sein même de l’aire régionale où il exerçait une autorité fragile, mais non encore ouvertement contestée.

L’homme qui se dresse publiquement contre lui est précisément l’ex-premier ministre qui l’avait précédé. Khalifa Al-Ghwell était le chef du « gouvernement de salut national » qui avait régné sur la Tripolitaine entre 2014 et 2016, une autorité de facto non reconnue par la communauté internationale. Ce gouvernement était l’émanation du bloc Fajr Libya, une coalition « révolutionnaire » au sein de laquelle les forces islamistes exerçaient une influence significative et dont l’affrontement avec le camp anti-islamiste, rassemblé autour du général Khalifa Haftar, avait plongé la Libye dans la guerre civile à l’été 2014.

« Vide sécuritaire »

Evincé au printemps par l’émergence du nouveau pouvoir de M. Sarraj, fruit d’un accord politique signé en décembre 2015 à Skhirat (Maroc) sous les auspices des Nations unies, M. Ghwell avait quasi disparu de la scène publique. Samedi, il a pourtant fait sa réapparition dans l’enceinte du Rixos, au lendemain de la prise de contrôle de l’enclave par un groupe armé sympathisant. Il a lu un communiqué demandant à ses anciens ministres de « reprendre leurs fonctions » et « suspendant » les ministres actuellement sous l’autorité de M. Sarraj. Les Nations unies et les capitales occidentales ont aussitôt « condamné » l’initiative de Khalifa Al-Ghwell, réaffirmant leur soutien à l’autorité de Faïez Sarraj. Dimanche, la situation était tendue à Tripoli bien qu’aucun combat d’ampleur ne fut rapporté.

Le danger pour Faïez Sarraj serait de voir une connivence s’établir entre ses rivaux de l’Est et de l’Ouest

Selon des sources à Tripoli, M. Ghwell a habilement exploité des tensions internes aux forces soutenant formellement M. Sarraj. Un des facteurs ayant précipité la crise semble en effet le non-versement des salaires à la brigade chargée de la sécurité du Rixos. La grogne qui a agité cette dernière aurait ainsi permis à M. Ghwell de s’introduire au cœur de cette enceinte qui accueillait le Conseil d’Etat, la seconde Chambre prévue par l’accord de Skhirat. Des informations non confirmées font état d’un soutien dispensé aux rebelles du Rixos par certaines milices radicales de Tripoli, dont celle de Salah Badi. « La crise actuelle illustre l’échec de Sarraj, commente un Tripolitain joint au téléphone. Il était censé unifier les milices dans une force de sécurité intégrée. Il n’en a rien été. Il y a actuellement toujours un vide sécuritaire. M. Ghwell et les adversaires de Sarraj ne font que s’introduire dans ce vide. »

Le défi émanant des réfractaires du Rixos dans la capitale s’ajoute à celui qui conteste l’autorité de M. Sarraj en Cyrénaïque dont le chef de guerre, le général Khalifa Haftar, chef en titre de l’Armée nationale libyenne, ne reconnaît pas la légitimité du gouvernement d’union nationale de Tripoli. Le danger pour M. Sarraj serait de voir une connivence s’établir entre ses rivaux de l’Est et de l’Ouest. Si une telle probabilité est mince, M. Ghwell en a en tout cas exprimé le souhait en lançant samedi un appel aux autorités de l’Est. Alors que les forces qui lui sont loyales – principalement issues de la cité portuaire de Misrata – essuient de lourdes pertes dans leur offensive contre l’organisation l’Etat islamique à Syrte, M. Sarraj résisterait difficilement à l’agrégation de ses adversaires épars dans un front uni.