Des habitants de Bishoftu croisent les poignets en signe de protestation contre les mesures anti-oromo du gouvernement. | ZACHARIAS ABUBEKER / AFP

Le gouvernement éthiopien a annoncé, dimanche 16 octobre dans la soirée, une trentaine de mesures dans le cadre de l’état d’urgence décrété le 9 octobre, imposant notamment de sévères restrictions des déplacements dans le pays et interdisant la consultation de certains médias d’opposition établis à l’étranger.

Selon une liste publiée par le « poste de commande » mis en place par l’état d’urgence et relayée par les médias locaux, les autorités ont instauré de larges « zones rouges » le long des frontières et autour des grands axes routiers, dans lesquelles les déplacements sont sévèrement contrôlés. Les diplomates étrangers présents en Ethiopie ont par ailleurs interdiction de se déplacer au-delà d’un périmètre de 40 km autour de la capitale, Addis-Abeba, sauf autorisation spéciale.

« C’est un état d’urgence et il faut s’attendre à des mesures répressives », a déclaré à l’Agence France-Presse sous couvert de l’anonymat un diplomate occidental en poste à Addis-Abeba. « Mais nous attendons aussi une ouverture de l’espace politique pour l’opposition, comme annoncé par le président au Parlement », a-t-il ajouté. Or, « ce n’est pas ce à quoi nous assistons pour le moment ».

Un couvre-feu dans certaines zones

Un couvre-feu est instauré de 18 heures à 6 heures autour « d’intérêts économiques » stratégiques tels que les usines, fermes agricoles et institutions gouvernementales. Plusieurs entreprises étrangères ont été prises pour cible par les manifestants au cours des dernières semaines. Un journaliste de l’Agence France-Presse a été arrêté et brièvement emmené au poste de police vendredi alors qu’il se trouvait dans le cadre de son travail dans une zone industrielle de Sebeta.

Les mesures prises par le gouvernement rendent également illégal de consulter ou de diffuser sur les réseaux sociaux les informations données par deux médias d’opposition établis aux Etats-Unis, Ethiopian Satellite Radio and Television (ESAT), et Oromo Media Network (OMN). L’Internet mobile est par ailleurs coupé depuis près de trois semaines dans la majeure partie du pays, y compris à Addis-Abeba.

Les partis politiques se voient également interdits de « faire des déclarations à la presse pouvant inciter à la violence ».

« Nous redoutons que les autorités éthiopiennes n’utilisent les moindres prétextes pour empêcher les journalistes étrangers de faire leur travail durant l’état d’urgence », a déclaré lundi Will Davison, président de l’Association de la presse étrangère, un groupement informel de correspondants étrangers œuvrant en Ethiopie.

M. Davison a dit ne pas savoir si des journalistes étrangers seront encore autorisés à interviewer et à citer des militants et politiciens de l’opposition, et attend des « clarifications » à ce sujet de la part des autorités.

Des communautés qui s’estiment marginalisées

Les autorités éthiopiennes ont décrété le 9 octobre l’état d’urgence pour une durée de six mois, pour tenter de juguler un violent mouvement de contestation antigouvernementale, dont la répression a déjà fait des centaines de victimes, selon les organisations de défense des droits humains.

Le pays est en proie à un mouvement de contestation sans précédent depuis la chute de la dictature communiste de Mengistu, en 1991, mené par les communautés oromo et amhara, majoritaires dans le pays, qui s’estiment marginalisés par le gouvernement.

Les contestataires dénoncent la domination sans partage de la coalition au pouvoir depuis vingt-cinq ans et ce qu’ils estiment être une surreprésentation de la minorité des Tigréens aux postes clés au sein du gouvernement et des forces de sécurité.

Alors que l’Ethiopie connaît depuis dix ans une croissance économique record, déjà érodée cette année par une sévère sécheresse, l’instabilité politique croissante pourrait avoir des répercussions négatives sur les investissements et le tourisme. Plusieurs investisseurs ont d’ores et déjà annoncé leur intention de se retirer, et la fréquentation touristique y est en chute libre.