Goldman Sachs a remporté son procès contre le fonds souverain libyen, qui l’accusait d’avoir abusé de sa naïveté en lui vendant des produits financiers pourris en 2008. Vendredi 14 octobre, la Haute Cour de justice britannique a débouté la Libyan Investment Authority (LIA), estimant que la banque américaine n’était pas allée « au-delà des relations normales, cordiales et mutuellement bénéfiques entre une banque et un client ».

Goldman Sachs avait pourtant fait perdre 1,2 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros) à la LIA, alors qu’elle avait empoché plus de 200 millions de dollars de commissions. Le juge a estimé que cela n’était « pas excessif ».

Si les agissements de Goldman Sachs sont jugés légaux, le procès, qui s’est déroulé en juin à Londres, a levé un coin du voile sur les pratiques des grandes banques d’investissement. Il y est question de dîners fins, de voyages luxueux et de prostituées, dans une atmosphère qui brouille les lignes entre les relations de travail et l’amitié personnelle.

Les mains chargées de petits cadeaux

L’affaire remonte à début 2008. Depuis deux ans, le régime de Mouammar Kadhafi est revenu en grâce sur la scène internationale. Les financiers du monde entier flairent la bonne affaire : l’argent du pétrole va enfin pouvoir être investi sur les marchés internationaux. Le trésor de guerre est alléchant : les actifs de la LIA sont évalués à 65 milliards de dollars. Toutes les banques se précipitent vers Tripoli, y compris la Société générale. Celle-ci est d’ailleurs poursuivie par la LIA dans une affaire parallèle, qui sera jugée au printemps 2017.

Goldman Sachs n’est pas en reste. Un homme à la banque américaine mène en particulier l’offensive : Youssef Kabbaj. Il se rend très régulièrement à Tripoli, les mains chargées de petits cadeaux : iPod, boîtes de chocolat, médicaments…

Une prostituée à 600 dollars

Il fait venir l’équipe de la LIA à Londres, où ils paient systématiquement pour les restaurants et les hôtels. Il organise un voyage au Maroc particulièrement luxueux pour l’équipe junior. M. Kabbaj se rapproche particulièrement de Mustafa Zarti, le vice-président de la LIA, qui est le vrai preneur de décision de l’organisation. Le banquier décroche pour son frère, Haitem Zarti, un prestigieux stage à Goldman Sachs à Londres. Il prend ce dernier sous son aile et l’emmène en voyage : Maroc, Vienne, Dubaï… Dans cette dernière ville, il fournit une prostituée à 600 dollars qui répond au doux nom de Michaela.

Progressivement, M. Kabbaj obtient la confiance de Mustafa Zarti et de son frère. C’est essentiel : selon plusieurs témoignages pendant le procès, les gérants de la LIA ne connaissent pas grand-chose en finance et ne comprennent pas les produits que leur propose Goldman Sachs. Pas étonnant pour un pays qui vit sous embargo depuis de nombreuses années. Catherine McDougall, une jeune avocate envoyée sur place à l’époque, parle d’une ambiance de « Far West » et d’employés qui se noient dans le jargon juridique et financier des produits structurés.

Là pour gagner de l’argent

C’est dans ce contexte que Goldman Sachs passe à l’action. Entre janvier et avril 2008, il vend au LIA une série de produits dérivés complexes. Le fonds souverain parie sur la valeur d’une action à une date future (notamment sur la Société générale et EDF) : si ce niveau est dépassé, Goldman Sachs doit lui payer plusieurs fois la différence, mais s’il est inférieur, la LIA perd toute sa mise. En échange, la banque reçoit d’importantes commissions.

La suite est connue. A l’automne 2008, les marchés actions s’effondrent avec la faillite de Lehman Brothers. La LIA perd son investissement. Le juge estime pourtant que la banque d’affaires n’a commis aucun acte illégal. Et l’avocat de la Goldman Sachs a souligné pendant le procès que les banques sont là pour gagner de l’argent et qu’il n’y avait pas à en avoir honte.