Tall Aswad, Kurdistan irakien, le samedi 15 octobre. ISOF 1, 2 et 3 attendent à la base arrière avant d’engager les combats dans les villages de la zone occupée par Daesh, dont les premières lignes sont à 12 kilomètres. | Laurent van der Stockt pour "Le monde"

La bataille lancée lundi 17 octobre pour reprendre la ville irakienne de Mossoul à l’organisation Etat islamique (EI) fait craindre un désastre humanitaire et pourrait pousser des centaines de milliers de personnes à fuir leur foyer juste avant l’hiver. Depuis plusieurs semaines, organisations non gouvernementales et Organisation des Nations unies se préparent à plusieurs scénarios. Charlotte Schneider, coordinatrice des opérations d’urgence d’Action contre la faim (ACF), décrit une situation complexe et espère, dans les semaines à venir, pouvoir traverser la ligne de front pour aider les civils.

A quel scénario humanitaire Action contre la faim et les autres ONG se préparent-elles ?

Charlotte Schneider : Les scénarios sont volatils, mais trois axes de déplacement de population sont envisagés : 500 000 personnes pourraient fuir vers le sud ; 300 000 vers l’est ; et 200 000 vers le nord. Comme ACF est déjà présente à Dohuk, située au nord de Mossoul et d’Erbil, la capitale de la région autonome du Kurdistan, à 80 kilomètres à l’ouest de Mossoul, nous viendrons en aide aux personnes qui partent vers le nord et vers l’est.

Mais il est difficile d’avoir une idée précise du nombre de personnes qui vont fuir. On table sur entre 300 000 et un million de déplacés, mais tout dépendra de la situation politique des prochaines semaines.

Mossoul et sa région | Google map

Des discussions entre les autorités kurdes et irakiennes, l’UNHCR [Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés], des ONG internationales et locales, soit environ une cinquantaine d’acteurs, sont toujours en cours pour savoir qui va faire quoi, et où.

Justement, comment l’aide humanitaire va-t-elle s’organiser ?

L’organisation est très complexe, car il y a beaucoup d’acteurs institutionnels, et les populations qui vont fuir vers le nord et vers l’est seront accueillies sur des territoires que se disputent Kurdes et Irakiens. Pour parvenir à travailler, il faut avoir bâti des relations avec les deux bords et insister sur le respect des principes humanitaires. Nous tenons à avoir un accès libre aux bénéficiaires, quelles que soient leur religion et leur ethnie.

C’est à une crise humanitaire de très grande ampleur que nous nous préparons, d’autant plus que l’hiver arrive. A l’été 2014, quand la population a fui Mossoul, le défi ce n’était pas le froid mais la chaleur. Cette fois-ci, on a prévu couvertures, blousons, chauffages, car même si les familles parviennent à fuir avec au moins une valise, elles ne peuvent pas prendre grand-chose.

L’idée est que l’on intervienne au plus près de la ligne de front, là où les populations qui fuient seront rassemblées puis contrôlées par les militaires dans des lieux dédiés. Ces personnes sont censées y rester au maximum quarante-huit heures avant d’être envoyées dans différents camps.

On comprend qu’il y a actuellement chez les autorités kurdes et irakiennes la crainte que des combattants de l’EI puissent se glisser parmi les déplacés. Les personnes seront donc fouillées et leur identité vérifiée. La seule chose qui nous importe, ce sont les modalités d’accès aux camps. On veut s’assurer que les personnes accueillies ne le sont pas de manière forcée et on veut pouvoir leur parler librement.

Dans les semaines à venir, on va aussi se focaliser sur l’idée de traverser la ligne de front pour accéder à Mossoul, car on ne sait absolument pas si la population sera en capacité de fuir la ville.

En quoi consistera l’aide humanitaire apportée par Action contre la faim ?

ACF est spécialisée dans l’assistance immédiate, c’est-à-dire les besoins en nourriture et en produits de première nécessité non alimentaires, comme les matelas, le chauffage, les ustensiles de cuisine. On distribue aussi des kits d’hygiène avec du savon, des seaux et des produits d’entretien. On gère aussi l’accès à l’eau et l’assainissement avec la construction de latrines et la mise en eau de robinets. Pour l’instant, on a des kits d’hygiène pour 7 200 personnes. Pour le reste, on fera en fonction des besoins qui sont déblocables en quelques heures.

L’aide psychosociale est également un élément clé. Les populations qui fuient sont potentiellement traumatisées par ce qu’elles ont vécu. On a observé chez les personnes qui ont quitté la Syrie et chez les Irakiens qui ont fui Mossoul après la prise de l’EI, de gros stress post-traumatiques et un besoin important de pouvoir raconter ce qu’elles ont vécu.

En ce qui concerne nos effectifs, dans les deux zones que l’on va couvrir, trente personnes peuvent être mobilisées pour l’accès à l’eau, l’hygiène et l’assainissement, vingt pour la distribution de nourriture et encore vingt pour l’aide psychologique.

Selon Lise Grande, la coordinatrice humanitaire de l’ONU pour l’Irak, il existe une règle informelle selon laquelle aucune institution ne peut faire face à un mouvement de population de plus de 150 000 personnes à la fois. Comment comptez-vous faire ?

C’est pourquoi il y a autant d’ONG prêtes à intervenir. Action contre la faim sera en capacité d’ici à mars d’aider 40 000 à 45 000 personnes dans chaque zone, soit près de 90 000 au total. Depuis janvier, on est déjà venu en aide à 250 000 personnes.

ACF intervient déjà dans des camps et auprès de ceux qui sont déplacés dans les villages. Les camps sont construits par les Nations unies, les autorités kurdes ou irakiennes et l’Organisme international des migrations (OIM). Le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) espère d’ici à la fin de l’année être en capacité d’accueillir dans les siens 120 000 personnes, les autorités irakiennes 150 000.

Mais ce sont des chiffres de planification qui, à ce stade, ne reflètent pas la réalité. D’ici deux à trois jours, six camps seront opérationnels avec une capacité d’accueil de 60 000 personnes. D’autres camps – entre 16 et 23 au total – sont planifiés mais pas encore construits. D’autant que certains sont situés dans des zones encore sous l’autorité de l’EI.

Sur les environ 367 millions de dollars requis pour l’aide humanitaire, moins de la moitié aurait été fournie par les bailleurs de fonds, comment allez-vous faire ?

Il y a un gros défi autour du financement. Mais on sait que l’argent va arriver progressivement. Aucun bailleur ne vous dit « je vous suis » alors que les scénarios envisagés ne sont pas précis. De notre côté, on travaille sur un financement qui nous permettrait de distribuer une aide d’urgence au moins jusqu’à mars 2017.

Irak : « la bataille de Mossoul pourrait durer plusieurs mois »
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