L’émigration de Français juifs vers Israël – l’alya –, qui avait atteint des niveaux record en 2014 (7 238 personnes) et 2015 (7 835), aurait fléchi en 2016. Selon une projection du Jewish People Policy Institute (JPPI, l’organe de planification de l’Agence juive), qui extrapole les données des huit premiers mois de l’année (3 452), les départs devraient être d’environ 5 000 à la fin de 2016. C’est un niveau encore largement supérieur à la période antérieure au pic de 2014 et 2015 (moins de 2 000 en 2011 et 2012, 3 297 en 2013), mais en retrait par rapport à certaines anticipations.

Pour le JPPI, les raisons de ce recul ne sont « pas entièrement claires », mais elles tiendraient au moins en partie à une « déception à l’égard du système d’absorption israélien ». C’est ce qui ressortirait d’entretiens conduits avec les candidats à l’alya, qui disent appréhender des difficultés déjà éprouvées par des proches partis avant eux. Trouver un travail correspondant à ses compétences et assurant un niveau de vie équivalent à celui que l’on quitte n’est pas considéré comme allant de soi par ces candidats, poussant certains à renoncer ou à partir dans un autre pays.

Passée la période initiale durant laquelle ils sont aidés par l’Etat israélien, précise le rapport, « beaucoup de nouveaux immigrants sont laissés avec le sentiment que leur hébreu est insuffisant, qu’ils rencontrent des obstacles pour trouver un emploi convenable et que leurs enfants ont du mal à trouver leur place dans le système scolaire ». Pourtant, l’Etat israélien déploie une politique incitative pour les juifs qui voudraient le rejoindre. Chaque candidat bénéficie ainsi au minimum d’une aide financière d’installation, de cinq mois de cours d’hébreu, tandis que les enfants ont un soutien scolaire pendant un an.

Actualité tragique

Daniel Benhaïm, directeur général de l’Agence juive (qui aide à préparer la « montée » en Israël) en France, tempère l’ampleur de ce coup de frein et nuance son explication. Selon lui, les prises de contact de juifs français avec l’Agence juive et leurs demandes d’information demeurent à un niveau très élevé, même s’ils n’atteignent pas les pics de 2014 et du premier trimestre 2015. « L’intérêt porté à l’alya demeure, affirme-t-il. C’est la concrétisation qui marque un temps d’attente. »

Ces dernières années, les chiffres de l’alya ont été tributaires de l’actualité tragique en France. Le premier a suivi les assassinats commis en mars 2012 par Mohamed Merah – qui avait tué quatre personnes, dont trois enfants, devant une école juive à Toulouse après avoir tiré à bout portant sur trois militaires à Montauban. Une augmentation des actes antisémites s’en était suivie. Deux ans plus tard, les cris de « Mort aux juifs ! » entendu à l’été 2014 lors de manifestations propalestiniennes à Paris avaient de nouveau traumatisé de nombreux Français juifs. Cette année-là, les actes antisémites avaient doublé par rapport à 2013.

En janvier 2015, la tuerie de l’Hyper Cacher avait encore aggravé le climat de tension. « Tous les juifs qui voudraient immigrer en Israël seraient accueillis les bras ouverts », avait lancé le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, à la synagogue de la Victoire, à Paris, le 11 janvier 2015.

Selon Daniel Benhaïm, l’alya n’est pas seulement une réaction aux événements. Il est aussi un projet religieux et/ou politique. Le relatif repli de 2016 s’expliquerait parce qu’est « partie la vague idéologiquement la plus prête, boostée par les événements ». Aujourd’hui, une seconde vague s’interrogerait, moins déterminée idéologiquement. Un projet d’émigration, note-t-il, ne se concrétise pas immédiatement. Il se mûrit deux ou trois ans.