Une décharge d’ordures avec une vue des Pyrénées au fond. | Surfrider

Que les estivants et les plaisanciers se rassurent : non, ils ne sont pas les seuls à consteller les plages de leurs mégots, bouteilles en plastique vide, emballages en tous genres et papiers gras. Les pollueurs des mers sont – aussi – à chercher bien plus loin, jusqu’aux sources des fleuves. Pour le prouver, l’association Surfrider est remontée de trois cents kilomètres en amont des côtes, loin de ses rivages des Pyrénées-Atlantiques. Pendant presque deux ans, elle a affronté neige et chemins détrempés pour enquêter, des stations de ski de Haute-Bigorre d’où dévale l’Adour jusqu’au port de Bayonne, où celui-ci rejoint l’océan.

Qui pollue le plus ? Pour y répondre, les défenseurs du milieu marin – surfeurs ou non – ont peaufiné pendant des mois un protocole rigoureux des prélèvements qu’ils ont ensuite effectués dans huit sites, chaque mois depuis fin 2014. Une fois obtenues toutes les autorisations nécessaires, une cinquantaine d’entre eux ont pêché des détritus supérieurs à trois millimètres dans le lit du cours d’eau au moyen d’un filet et en ont ramassé sur ses berges. Il a fallu deux fois plus de volontaires pour trier rigoureusement tout cela en treize catégories. Car l’association a récupéré au total 40 000 déchets – soit un tapis d’ordures de 1 684 mètres carrés – par an.

Des déchets insolites épinglés comme des indices d’une enquête dans les dessous des déchets. | Surfrider

Surfrider a rendu publics ses résultats mardi 18 octobre, qu’elle présente comme une enquête, à la façon d’une série policière mâtinée de documentaire d’investigation, sur un site dédié, Riverine Input. « C’est un genre à la mode, espérons que cela sensibilisera le grand public, glisse Cristina Barreau, responsable de ce projet. Nous voudrions que notre travail permette d’impliquer le plus grand nombre car, notre conclusion, c’est que nous sommes tous coupables»

Nombre d’objets religieux

Au-delà de cette conclusion consensuelle destinée à ne froisser aucune des dix-neuf communes traversées, des lacs de montagne jusqu’aux vagues de l’Atlantique, les membres de l’association reconnaissent être allés de surprise en surprise. Dans un point de prélèvement en zone agricole, ils ont par exemple trouvé des bâches et des sacs d’engrais vides qu’un coup de vent suffit à rabattre vers le cours d’eau.

Mais ils ont aussi recensé nombre d’objets religieux – vierges, bibles, bougies – provenant probablement de Lourdes ; des poches à perfusion périmées – « vingt à trente par jour » –, qui étaient sans doute entreposées dans un bâtiment ayant subi une inondation ; plus quantité de déchets médicaux qui venaient peut-être d’une maison de retraite médicalisée.

Les enquêteurs du fleuve ont aussi récupéré des berlingots d’eau de Javel indiquant un prix en anciens francs et des emballages de barres chocolatées qui ont changé de nom depuis belle lurette. « Nous pensons qu’ils viennent d’une décharge très ancienne, aujourd’hui fermée, suggère Cristina Barreau. Les détritus avaient été enfouis, jusqu’à ce qu’une inondation vienne les déterrer… »

Des volontaires trient les déchets récoltés sur les berges de l’Adour et dans le lit du cours d’eau. | Surfrider

Le plastique constitue de loin l’essentiel de cette peu ragoûtante récolte. Avec les polystyrènes, il représente 87,2 % du total, le métal, 2,9 %, le verre, 1,7 %, le matériel sanitaire, 1 %, et médical, 0,9 %. Tissu, papier, caoutchouc, céramique et polluants divers composent les 6,3 % restants. Surfrider a aussi recensé 288 Cotons-Tiges qui se faufilent à travers les filtres des stations d’épuration, 382 déchets médicaux, 578 mégots… A part le verre et les canettes de soda, peu pourra être recyclé.

Difficile de comparer ces données car, s’il existe des études sur les détritus en mer, elles sont rares en eau douce, selon Cristina Barreau. « La directive-cadre européenne sur le bon état écologique des rivières n’intègre pas la question des macrodéchets », précise-t-elle. La recrudescence des pollutions dans l’Adour lors de la fonte des neiges et après les orages d’été conforte en tout cas les observations de Surfrider : en ville comme à la campagne ou même à la montagne, rien ne se perd, tout se transforme en intrus et finit dans le milieu marin. L’association souhaite non seulement poursuivre son travail dans le Sud-Ouest, mais aussi mettre en place la même expérience sur le Var et analyser ses « apports » à la Méditerranée.