Un scrutin sous haute tension s’ouvre ces 19, 20 et 21 octobre au Crédit mutuel. Convoquées en assemblées générales, les trois fédérations de Bretagne, du Sud-Ouest et du Massif central formant le Crédit mutuel Arkéa, doivent dire si, oui ou non, elles soutiennent le projet de création d’un organe central propre, distinct de celui du groupe – le seul actuellement reconnu par les autorités de tutelle (la Confédération nationale du Crédit mutuel, la CNCM).

Ce qui revient, en clair, à soutenir ou non la stratégie « séparatiste » des dirigeants d’Arkéa, conçue par leur président Jean-Pierre Denis, partisan de l’indépendance au sein même du groupe. M. Denis estime qu’un affranchissement vis-à-vis de la tutelle de la Confédération ne ferait qu’entériner, en droit, l’autonomie actuelle d’Arkéa. De même que la concurrence que se livrent aujourd’hui déjà, à leurs frontières ou par l’entremise de leurs filiales, Arkéa et les onze fédérations regroupées dans le puissant CM11-CIC, dont celle de l’Est.

Pas « de garanties d’une indépendance impartiale »

En soumettant son projet au vote des caisses locales (l’équivalent des agences), M. Denis fait un pari politique. Car un avis négatif à son projet de création d’un deuxième organe central signerait sans doute la fin de ses ambitions.

Ces derniers mois, le patron d’Arkéa, soutenu par ses cadres dirigeants, s’est employé à expliquer le bien-fondé et les bienfaits d’une séparation : la « viabilité économique » d’Arkéa seul, les « excellents résultats » de la banque, « la pertinence de son modèle », son « agilité », le maintien des centres de décision en Bretagne…

Et à souligner, a contrario, les inconvénients liés au rattachement à un organe central « ne présentant pas », selon lui, « les garanties d’une indépendance impartiale » – entendez par là, lié au frère ennemi, le puissant CM11-CIC. Un organe central dont les pouvoirs statutaires ont, qui plus est, été récemment renforcés, en mars, à la demande de la Banque centrale européenne (BCE), le superviseur des grandes banques de la zone euro.

Un rapporteur doit être nommé

Si Arkéa obtenait l’aval de ses caisses locales pour s’affranchir de la Confédération, le projet de sécession s’en trouverait donc légitimé et ses dirigeants renforcés. Comme le serait aussi le conflit ouvert entre l’Est et l’Ouest depuis plus de deux ans, qui a déjà donné lieu à de multiples procédures judiciaires et fait régulièrement les gros titres de la presse régionale, au vu des enjeux territoriaux.

Informé de la consultation organisée par Arkéa, la CNCM n’a pas tardé à réagir, en annonçant, le 12 octobre, l’ouverture d’une procédure de sanction à l’encontre des frondeurs. Une action qui menaçait depuis plusieurs semaines.

Formellement, cette procédure vise notamment à sanctionner le refus persistant d’Arkéa, de transmettre à son organe central – comme le veulent pourtant les règles du contrôle bancaire – les informations requises par les autorités de supervision bancaires… informations qu’Arkéa a préféré transmettre directement aux dites autorités : la BCE et en France, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

« Ce n’est pas de la banque, c’est de la science-fiction ! »

Mais il s’agit aussi, pour la Confédération, de faire preuve d’autorité vis-à-vis de son affilié, à un moment clé de l’histoire du groupe, où les tensions ont atteint un sommet.

« Nous sommes face à une situation où des dirigeants demandent les pleins pouvoirs pour conduire un projet qui conduirait à l’éclatement du groupe. Ce n’est pas acceptable », indique Pascal Durand, le directeur général de la CNCM.

De fait, la création d’un organe central propre au Crédit mutuel Arkea obligerait ses quelque 330 caisses locales à se désaffilier de la Confédération.

Alors qu’un rapporteur doit être bientôt nommé pour tenter de faire redescendre la pression et dénouer les multiples nœuds du conflit, et ce avant la fin de l’année, le président de la Confédération, Nicolas Théry, en appelle au maintien de l’unité du groupe :

« Avoir deux organes centraux, donc deux centres, ce n’est pas de la banque, c’est de la science-fiction ! Soit on est dedans, soit on est dehors », déclare-t-il au Monde.

Et d’ajouter :

« le vrai danger d’un « Arkexit », comme le Brexit, ce serait le lendemain ».

M. Théry estime par ailleurs qu’un bon nombre de gages ont été récemment donnés, et de réformes faites, en faveur d’une neutralité de la CNCM, en réponse aux critiques sur l’existence de conflits d’intérêts émises par Arkéa. Le principe de subsidiarité ancré au sein du Crédit mutuel permet, selon lui, une coexistence harmonieuse entre des groupes autonomes.

« Inquiètes des conséquences directes et indirectes »

De leur côté, à la veille des assemblées générales des caisses locales, les syndicats expriment craintes et réserves. Dans un communiqué commun daté du 17 octobre, la CFDT, le SNB et la CGT du Crédit mutuel Arkéa écrivent ainsi que « ce projet [d’un deuxième organe central] est en contradiction avec les statuts de la Confédération et le processus de renforcement de l’organe central du Crédit Mutuel demandé par les régulateurs et validé par notre ministre de tutelle ».

Ces organisations syndicales se disent « inquiètes des conséquences directes et indirectes, particulièrement sur les emplois du groupe, que pourraient avoir » ce projet et la procédure de sanction susceptible d’aller jusqu’à « l’exclusion d’Arkéa » de la Confédération et la « perte de la marque Crédit mutuel ». Elles exhortent les administrateurs à peser, afin que des négociations s’engagent avec la Confédération.

« Les Bretons ne sont pas bons quand ils se replient, commente la CFDT. Il serait préférable de trouver un terrain d’entente. »

Des courriers en ce sens ont été adressés, début octobre, aux ministres bretons, Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, et Jean-Jacques Urvoas, ministre de la justice.

Le vote des fédérations regroupées sous la bannière d’Arkéa devait être regardé de près par les autorités de contrôle. L’ACPR et le ministère de l’économie et des finances ont une position neutre vis-à-vis du sujet. Mais elles ont notamment rappelé à Jean-Pierre Denis, président du Crédit Mutuel Arkéa, que la création d’un nouvel organe central devait relever de la loi et non d’une résolution d’assemblée générale.