Réaménagé par Rem Koolhaas, le bâtiment qui accueillera la Fondation d’entrepriseGaleries Lafayette ouvrira ses portes en 2017. | OMA

« Ce n’est pas une institution de plus », glisse d’emblée Guillaume Houzé. Le jeune héritier des grands magasins parisiens ne l’ignore pas, la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette, qu’il préside, prendra pied, à l’automne 2017, rue du Plâtre, dans le 4e arrondissement de Paris, sur un terreau déjà fertile, voire saturé, trois ans après l’inauguration de la Fondation Louis Vuitton, au bois de Boulogne, et un an avant celle de la Fondation Pinault, à la Bourse du commerce à Paris.

N’allez pas pour autant comparer le futur espace réaménagé dans le Marais aux deux mastodontes précités. « Cela n’a rien à voir », tranche François Quintin, directeur ­délégué de la fondation. Rien à voir, par le choix de l’architecte, Rem Koolhaas, dont la rigueur ascétique est aux antipodes des sinuosités baroques de Frank Gehry, maître d’œuvre de la Fondation Vuitton, ou du fameux béton de Tadao Ando pour Pinault.

Pas grand-chose en commun non plus pour ce qui est du budget. La somme de 21 millions d’euros, dont la Fondation Galeries Lafayette a été dotée sur cinq ans, est sans commune mesure avec les moyens stratosphériques des milliardaires Pinault et Arnault.

Montrer les œuvres ne suffit plus

Son échelle est aussi différente de la très attachante Maison rouge, installée en 2004 face au port de l’Arsenal par le collectionneur Antoine de Galbert, ou de la discrète Fondation ­Hippocrène, nichée dans un immeuble ­Mallet-Stevens du 16e arrondissement. Bref, la Fondation Galeries Lafayette occupe un format et un terrain qui lui sont propres.

Pour bien se faire comprendre, Guillaume Houzé, 35 ans, use volontiers de cette métaphore : « C’est une boîte à idées et non une boîte à bijoux. » L’idée, précisément, n’étant pas de bomber le torse avec des trophées, de jouer du muscle en alignant des œuvres – forcément – chères, des Gerhard Richter en veux-tu en voilà, des Damien Hirst à gogo.

La future fondation ne compte pas exposer de manière permanente les œuvres achetées par le fonds de dotation Famille Moulin, créé en 2013. Loin de toute parade, l’exercice relève plus du sacerdoce : accompagner concrètement les artistes dans les instants les plus cruciaux et ingrats, les moins visibles aussi pour le grand public, à savoir dans la production. Ce moment miraculeux et anxiogène où le cerveau créateur tente de donner forme à ses fulgurances. « Les générations précédentes étaient dans un rapport à l’objet, aux choses, explicite Guillaume Houzé. Notre rôle n’est plus de montrer des objets, il va bien au-delà. »

Paris est redevenue arty

Ce rôle, l’entreprise familiale l’a endossé depuis belle lurette. Charlotte Perriand avait signé l’un de ses premiers contrats avec les grands magasins. C’est dans ses vitrines que le designer Serge Mouille a posé les bases de son travail. Les Galeries Lafayette n’ont cessé de le marteler sur tous les tons : « La France a du talent », titre d’une exposition montée en 1984 sur la scène hexagonale.

Situé rue du Plâtre, dans le 4e arrondis­sement parisien, cet ancien bâtimentindustriel sera modulable selon 49 configurations. | Fondation Galeries Lafayette

En 2005, sous l’impulsion de Guillaume Houzé, les grands magasins remettent le couvert avec l’opération annuelle « Antidote », consacrée à la scène française. L’objectif ? Rompre avec les vieilles rengaines et la chape de plomb qui frappait la France. À l’époque, Paris se trouvait dans un angle mort : jugée trop ­provinciale, trop peu portée sur l’art contemporain malgré l’ouverture quelques années plus tôt du Palais de Tokyo. Trop loin de la feuille de route des commissaires d’exposition.

Aujourd’hui, le contexte a évolué, les institutions privées ont bourgeonné, les artistes se sont exportés. Sans être en pole position, la France arty a repris des couleurs.

Un bâtiment modulable où tout penser, tout faire

Aussi fallait-il changer de braquet. Montrer les artistes français, c’est bien. Mais beaucoup d’autres lieux s’y appliquent déjà avec sérieux. Se consacrer uniquement à l’art contemporain, c’est bien aussi, mais ce serait trop réducteur dans un contexte poreux où arts plastiques, design, mode et architecture se donnent la main.

Le cœur névralgique du futur bâtiment ne sera donc pas dans les 1 000 m2 de surface d’exposition, mais dans les 450 m2 plus invisibles d’un laboratoire-bureau d’étude affecté à la production sous toutes ses formes. « Il y aura un panel exhaustif d’outils pour potentiellement tout penser, tout faire », explique Guillaume Houzé. Et d’ajouter : « Tout ce qui sera montré dans nos murs aura été produit par la fondation. »

Le bâtiment lui-même sera modulable telle une machine, au gré de 49 configurations possibles. Car une institution du XXIe siècle ne saurait être figée dans la pierre. Elle avance sans idée préconçue. Elle doit accompagner les sismogrammes de la création, ses désirs de grandeur, son besoin d’intimité aussi. Bref, anticiper.

Anticiper l’inconnu

Justement, Anticipation est le cri de guerre et le leitmotiv utilisé par les Galeries Lafayette pour aiguiser – ou apaiser ? – la curiosité avant l’ouverture définitive. La nouvelle exposition, organisée jusqu’au 23 octobre dans les anciens magasins Weber Métaux, rue Debelleyme, joue la carte de la prospective avec quatorze propositions artistiques de créateurs aussi différents que Camille Blatrix ou Rayyane Tabet, reliées par un titre éloquent : « Faisons de l’inconnu un allié ».

« Qu’est-ce que produire une œuvre d’art ? C’est précisément ça, l’inconnu, résume François Quintin. Les artistes ne savent pas à l’avance ce qu’ils vont faire. » Pas plus que les fondations d’entreprise qui, malgré leurs stratégies quinquennales, ne peuvent aller plus vite que la création qu’elles doivent servir.

« Faisons de l’inconnu un allié », Lafayette Anticipation, jusqu’au 23 octobre.