Des policiers devant l’hôpital Saint-Louis à Paris. | STRINGER / AFP

S’il « comprend leur exaspération », Bernard Cazeneuve a tenu a rappeler les policiers à leur « déontologie ». Au lendemain de la manifestation nocturne et impromptue de centaines de policiers à Paris, le ministre de l’intérieur a dit, répondant à une question d’actualité au gouvernement au Sénat, mardi 18 octobre, qu’« on ne peut pas, quand on est policier, défiler avec des voitures de police et des gyrophares, parce que ce n’est pas conforme à ce qu’est la déontologie de la police dans la République ».

Avant lui, le directeur général de la police nationale (DGPN), Jean-Marc Falcone, avait déjà qualifié d’« inacceptable » le comportement des représentants des forces de l’ordre qui ont manifesté devant l’hôpital Saint-Louis (10e arrondissement), puis sur les Champs-Elysées, dans la nuit de lundi à mardi.

Ils étaient environ cinq cents agents et plusieurs dizaines de voitures de police rassemblés pour une manifestation nocturne, mobilisés par des SMS et des messages sur des réseaux sociaux, dans le but d’exprimer leur mécontentement, une semaine après l’agression des policiers à la Grande Borne (Essonne), au cours de laquelle quatre agents ont été blessés, dont deux grièvement. Ils dénoncent notamment le manque de moyens, d’effectifs, et de fermeté face aux violences envers les policiers.

Plus largement, certains dénoncent une politique du chiffre, ou encore des conditions de travail plus difficiles depuis les attentats du 13 novembre et la mise en place de l’état d’urgence.

Dès le lendemain de ce rassemblement, non préparé et non autorisé, et avant même la prise de parole du ministre, une enquête avait été confiée à l’inspection générale de la police nationale (IGPN) « afin de déterminer et de préciser les manquements individuels aux règles statutaires. » Le communiqué de la DGPN note ainsi que certains policiers manifestaient pendant leur service, et en uniforme, ce qui leur est interdit. Un SMS envoyé lundi soir par plusieurs policiers appelait d’ailleurs les agents « en ou hors service » à participer au rassemblement.

Voici le SMS qui a circulé lundi soir

Bonjour
Pour info
un message des collègues du 91…
Bonjour collègues. Suite à un énième événement tragique à Viry-
Châtillon, le 8 octobre, l’actualité nous rappelle une fois de plus
que nous sommes des cibles.
Face à une hiérarchie carriériste, des élites syndicales enlisées dans
leurs conflits, et une justice complètement désintéressée par notre
sort, nous devons nous souder. Entre bleus.
C’est pour ces raisons qu’un cortège du 91 montera ce soir, face à
l’hôpital saint louis, 1 avenue Claude Vellefaux à paris 10, à 23 h 30,
et qu’il pourra être rejoint par les départements voisins.
Nous nous rassemblerons silencieusement pour montrer notre soutien à
Vincent, collègue gravement blessé, avant de monter sur les
Champs-Elysées exprimer notre mécontentement.
Flics de jour, de nuit, de BAC, BST, canine, investigation, en ou hors
service… tout le monde doit se mobiliser. Soyez solidaires, soyez
présents, et partagez ce message à tous vos collègues. On compte sur
vous. A ce soir, nombreux et unis !
PS : pour ceux du 91, départ à 22h du parking de la SNECMA (Vers
Corbeil, suivez les panneaux sur l’A6)

Que dit la loi ?

Le rassemblement a eu lieu sans déclaration préalable à la préfecture de police, a dit une source policière, or l’article 431-9 du code pénal punit de 7 500 euros d’amende et de six mois d’emprisonnement le fait d’organiser « une manifestation sur la voie publique n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration préalable dans les conditions fixées par la loi ». Les participants à ladite manifestation ne sont cependant pas concernés par ces sanctions.

Si les policiers, comme les militaires, n’ont pas le droit de se mettre en grève – conformément à l’article L-4121-4 du code de la défense – leur droit de manifester est plus trouble. Selon le code de déontologie de la police et de la gendarmerie, les fonctionnaires de police ne peuvent, lorsqu’ils sont en fonction, exprimer ou manifester leurs opinions politiques, religieuses ou philosophiques.

En civil et hors service, ils peuvent s’exprimer « librement » mais « dans les limites imposées par le devoir de réserve et par la loyauté à l’égard des institutions de la République », selon l’article 434-29 du code de déontologie. Dans une note consultée par l’Agence France-Presse, le préfet de police de Paris, Michel Cadot, a justement rappelé aux agents de la police nationale leur « code de déontologie » et leur « devoir de réserve et de loyauté ».

Le communiqué de la DGPN, lui, dit que les policiers « ne peuvent outrepasser les devoirs que leur impose leur statut et qui fondent la légitimité de l’accomplissement de leurs missions de police au service de l’ordre public et de la loi républicaine. »

De précédents rassemblements

Ce rassemblement policier sans appel syndical n’est pas une première. En 2012, déjà, des policiers avaient défilé spontanément sur les Champs-Elysées, à Paris, pour protester contre la mise en examen pour homicide volontaire d’un de leurs collègues de Noisy-le-Sec.

En outre, à de nombreuses occasions, des manifestations de policiers se sont tenues, encadrées par les organisations syndicales. En mai, par exemple, à l’appel notamment du syndicat Alliance, des policiers s’étaient rassemblés pour dénoncer la « haine antiflic » et pour leurs collègues blessés durant les affrontements en marge des manifestations contre le projet de loi travail. Signe que le malaise de ces derniers jours prend ses racines dans des maux plus profonds.

Certaines manifestations de policiers ont marqué l’histoire. Le 3 juin 1983, après l’enterrement de deux collègues tués par des cambrioleurs, deux mille cinq cents policiers se rassemblèrent en manifestation sous les fenêtres du ministre de la justice, Robert Badinter, à l’appel de syndicats proches de la droite et de l’extrême droite. Le lendemain, le directeur général de la police nationale de l’époque, Paul Cousseran, fut limogé.