Temps béni pour les populistes xénophobes. Sans vergogne aucune, ils érigent leurs mensonges en faits irréfutables. Ils font souvent mouche. L’un claironne partout qu’il veut à redonner à son pays sa grandeur d’antan, l’autre prétend épargner aux habitants de Béziers, dont il est l’édile, l’invasion des étrangers. A mille lieues de ces bonimenteurs, il est plaisant de voir surgir çà et là des personnalités inattendues qui redonnent du sens à la politique, en mettant sur pied d’autres formes d’économie relationnelle.

C’est sur un écran de télévision que je l’ai vue pour la première fois en mars 2016. Elle jouait gros ce soir-là et elle ne l’ignorait pas. Vers la fin de la nuit, le résultat tombe : la primaire démocrate au Minnesota est remportée par Bernie Sanders contre Hillary Clinton. Elle jubile, car les résultats dans son secteur sont très bons pour le candidat de son cœur. Elle ? Ilhan Omar. Un petit bout de femme au corps frêle et au visage illuminé par un large sourire. Son nom ne vous dit rien encore, mais, demain, c’est une tout autre affaire.

Arrivée à 12 ans aux Etats-Unis

A 33 ans, Ilhan Omar est la nouvelle coqueluche du Parti démocrate de cet Etat du Midwest. Le 9 août, elle gagne haut la main, à son tour, la primaire au niveau local. Mieux, elle possède une histoire fort belle. Et, aux Etats-Unis, tout le monde adore les récits édifiants écrits de surcroît à la première personne du singulier.

Née en 1982 en Somalie, Ilhan Omar a tout juste 8 ans quand la guerre civile jette sur les routes une grande partie de la population. Comme d’autres familles, celle de la future militante se retrouve dans un camp de réfugiés au Kenya, où elle réside quatre ans avant d’être admise à émigrer aux Etats-Unis. A 12 ans, c’est à Arlington, en Virginie, qu’elle fait ses premiers pas au sein de la communauté est-africaine rescapée des conflits qui continuent de déstabiliser la Corne de l’Afrique. Deux ans plus, la famille Omar quitte la Virginie pour rejoindre Minneapolis et Saint Paul, les villes jumelles du Minnesota qui abritent la plus grande communauté somalienne du continent américain.

Circonscription taillée pour elle

Tous les migrants ne réussissent pas à s’acclimater dans le nouvel environnement. Comme la chrysalide qui se meurt pour donner naissance au papillon, Ilhan Omar embrasse, elle, sa nouvelle identité : « Pour la première fois, je réalisais que j’étais noire et musulmane, et que ma couleur de peau et mon hijab me distinguaient du reste de la population, et rendaient mon identification de réfugiée somalienne évidente aux yeux de tous », confie-t-elle aux journalistes. En aidant son grand-père désireux d’accomplir son devoir civique, la lycéenne se découvre une passion pour la « chose publique ». Elle se fait militante de base du Parti démocrate, collant des affiches, faisant du porte-à-porte, invitant son entourage à s’inscrire sur les listes électorales et à exercer leurs droits constitutionnels. Elevée par son père et son grand-père, qui lui ont transmis leur soif de justice et de liberté, la petite apatride accomplit un parcours scolaire exemplaire couronné par une licence en sciences politiques. Mais c’est sur le terrain social qu’elle se distingue, œuvrant pour les plus humbles. Elle n’a jamais oublié d’où elle venait : « Quand nous avons débarqué aux Etats-Unis, je ne parlais pas anglais. »

Mariée et mère de trois enfants, c’est une candidate au moral d’acier qui sillonne les barres d’immeubles et les centres sociaux pour faire le plein de voix. Il ne lui reste plus qu’à transformer l’essai. Les observateurs reconnaissent que l’avenir sourit à l’ancienne petite réfugiée somalienne devenue la candidate des démocrates locaux dans une circonspection qui semble taillée pour elle. Sa composition démographique lui est très favorable, regroupant des Américains d’origine est-africaine et des résidents progressistes liés aux établissements universitaires tout proches. A l’heure où le candidat à la présidence des Etats-Unis Donald Trump se pare quotidiennement d’un manteau xénophobe et islamophobe, les électeurs du district 60B sont en passe de lui infliger un uppercut cinglant. Le candidat républicain, lui aussi d’origine somalienne, vient de jeter l’éponge pour des raisons personnelles. Au soir du 8 novembre, Ilhan Omar devrait donc devenir la première femme noire d’origine somalienne, musulmane, élue du Minnesota. Il serait étonnant qu’elle s’arrête en si bon chemin.

Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti. Il vit entre Paris et les Etats-Unis, où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd’hui professeur à George-Washington University. Auteur, entre autres, d’Aux Etats-Unis d’Afrique (éd. J.-C. Lattès, 2006), il a publié en 2015 La Divine Chanson (éd. Zulma).