Dans un souk de Casablanca réputé pour ses produits électroniques et ses contrefaçons, Omar vend une application VPN (Virtual Private Network). Un réseau virtuel privé qui permet aux utilisateurs de passer des appels via WhatsApp, Facetime, Skype ou Facebook sans se faire repérer. Car, depuis janvier, le royaume chérifien interdit tous les appels à travers ces services gratuits de téléphonie sur Internet (VOIP). Une mesure contestée, désormais, devant la justice, puisque le tribunal administratif de Rabat devait, mardi 18 octobre, ouvrir une première audience sur ce dossier.

Derrière ce blocage, les trois opérateurs téléphoniques marocains qui voient dans ces applications un sérieux manque à gagner. Ils espèrent convaincre leurs clients, adeptes de ces nouveaux moyens de communication, de revenir vers le réseau mobile traditionnel payant.

« Opérateurs, dictateurs ! »

Mais, sitôt l’interdiction en place, les Marocains n’ont pas tardé à trouver la parade. « Les opérateurs auront beau bloquer les appels, on trouvera toujours un moyen de contourner », dit fièrement Omar, un informaticien de 24 ans. La plupart des usagers téléchargent une application VPN gratuitement sur leur smartphone, aidés par des tutoriels et autres conseils qui circulent sur la toile. D’autres se tournent vers les applications payantes, plus performantes. « J’ai développé un VPN indétectable sur Android que je vends à 50 dirhams (moins de 4 euros) », raconte Omar. Un jeu d’enfant pour cet informaticien autodidacte : « Il suffit de passer par un serveur géolocalisé dans un autre pays et le tour est joué ! »

Alors qu’un Marocain sur deux a désormais accès à Internet, cette décision de l’Agence nationale des télécommunications (ANRT), justifiée par « une concurrence déloyale », est contradictoire avec les récentes évolutions technologiques du pays, notamment l’arrivée de la 4G en juin 2015. « Quel est l’intérêt d’avoir un haut débit si les internautes n’en profitent qu’à moitié ?, s’interroge le patron d’une entreprise de huit salariés à Casablanca. Nous travaillons avec des pays étrangers et nous faisons constamment des vidéoconférences. Aujourd’hui, c’est mission impossible ! » En mars, l’agence de régulation marocaine avait elle-même enfreint l’interdiction pour retransmettre une conférence via Skype, Facetime et Google Hangouts. « Un comble », avaient jugé les internautes.

Le blocage, d’abord réservé aux mobiles puis étendu au Wi-Fi, affecte aussi de nombreuses familles marocaines, autrefois habituées à ces moyens de communication gratuits pour joindre leurs proches à l’étranger. Mais aussi pour communiquer à l’intérieur du pays, où les tarifs restent élevés. En 2014, 42,1 % des internautes utilisaient la téléphonie via Internet, selon une enquête de l’ANRT. « D’abord, ils placardent des publicités pour nous inciter à nous abonner à leur formule Internet et ensuite, ils nous volent », s’insurge Amina, une abonnée de Maroc Télécom, premier opérateur du royaume.

Le zap Afrique : au Maroc, fini les appels gratuits via internet
Durée : 01:26

« Atteinte à la démocratie »

Pour contester, les internautes ont lancé une campagne de boycottage sur le web : « Opérateurs, dictateurs ! », accompagnée du hashtag #openunlike, une invitation à ne plus « liker » les opérateurs téléphoniques sur Facebook. L’opération a fait perdre un demi-million de fans aux opérateurs sur les réseaux sociaux. Le blocage des appels est même devenu un argument électoral. Fin septembre, en pleine campagne pour les législatives, le Parti de l’authenticité et de la modernité (PAM) avait promis « le rétablissement des appels via VOIP » dans son programme. Mais la mobilisation n’a pas empêché le gouvernement marocain de publier en juin un décret ministériel pour entériner la décision de l’ANRT.

Un client de Maroc Télécom a alors décidé de poursuivre la riposte devant un tribunal. Son avocat, Mourad Zibouh, a déposé un recours au tribunal administratif d’Oujda (nord-est) afin d’invalider la décision du gendarme des télécoms, soupçonné de couvrir une entente entre opérateurs. « Il n’existe pas de loi au Maroc qui restreint l’utilisation d’Internet », proteste MZibouh, dénonçant une « atteinte à la démocratie ». « Lorsqu’un client choisit un abonnement ADSL, il doit pouvoir bénéficier de tous les services qu’offre Internet. En prenant cette décision, l’ANRT prive les Marocains d’utiliser des services pour lesquels ils payent malgré tout et ça, c’est hors la loi », poursuit l’avocat. Le tribunal administratif de Oujda s’étant déclaré incompétent, c’est celui de Rabat qui a pris le relais avec l’audience d’aujourd’hui.

En attendant le verdict de la justice, les Marocains continuent d’utiliser des voies de contournement informelles. Non sans danger. Car certains fournisseurs de VPN gratuits peuvent aussi récolter les données privées des consommateurs qui ont recours à leur service et les revendre sur Internet.