C’est de nouveau le branle-bas de combat chez les plates-formes de VTC. Les Uber, Chauffeur-Privé, Snapcar ou Allocab vont-elles pouvoir encore infléchir la proposition de loi relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes ?

Ce texte préparé par le député PS de la Côte-d’Or Laurent Grandguillaume et voté en première lecture à l’Assemblée nationale le 20 juillet, arrive, mercredi 19 octobre, en commission du développement durable au Sénat, avant d’être débattu en séance plénière, le 2 novembre.

Les grandes plates-formes de transports privés de passagers redoublent d’effort pour contrer ce texte. « S’il était appliqué aujourd’hui, cela pourrait amputer nos revenus de 30 % », assure Yanis Kiansky, le patron d’Allocab. « Cela risque d’entraîner la suppression de milliers d’emplois dans un secteur en plein développement », renchérit Yves Weisselberger, qui dirige Snapcar. « Ce serait un coup d’arrêt définitif à ce secteur », conclut Yann Hascoet, le fondateur de Chauffeur-Privé.

Depuis 2010, ces plateformes se sont développées à grande vitesse, en affiliant, à tour de bras, des chauffeurs de VTC. Sur cinq ans, pas moins de 15 000 emplois auraient été créés, selon ces sociétés. Les taxis ont subi cet essor soudain, en perdant, selon les différents syndicats de la profession, entre 10 % et 30 % de leur chiffre d’affaires. Afin de conserver leur part de marché, ils ont alors multiplié les actions pour défendre leur pré carré.

« Abus »

Les dernières manifestations, en janvier 2016, ont obtenu un écho politique, et le gouvernement a décidé de légiférer une nouvelle fois sur le sujet. La précédente loi, dite Thévenoud, n’avait pas permis de trouver d’équilibre sur le marché du transport de personnes malgré l’instauration d’un examen d’accès à la profession de chauffeur de VTC.

La mise en place d’un examen, particulièrement ardu pour le public visé, a entraîné un soudain tarissement du nombre de chauffeurs de VTC. Les acteurs du secteur ont alors identifié une faille dans le dispositif réglementaire et législatif de l’Etat. Ils ont utilisé une autre loi existante, dite Loti, qui permet à tout titulaire d’un examen de VTC de créer une entreprise et de salarier des chauffeurs sur la foi de cet examen pour transporter des passagers.

Historiquement, cependant, ce droit était prévu pour le transport de deux à huit passagers, notamment dans les campagnes. Mais, aujourd’hui, près de 10 000 chauffeurs VTC relèveraient du régime Loti et ne transportent pas nécessairement plus d’une personne par trajet.

« Afin de remédier à cet abus du dispositif, la proposition de loi précise que le statut Loti sera réservé aux seules zones rurales, indique-t-on au ministère des transports. Dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants, seuls deux statuts subsisteront : celui de taxi et de VTC. Et les examens pratiques et théoriques de ces deux statuts seront rapprochés et organisés dans les chambres des métiers, où sont déjà représentés les taxis, mais aussi les chauffeurs VTC. »

« Chute de la qualité de service et hausse des prix »

Pour les VTC, cette législation va entraîner un tarissement du nombre de chauffeurs disponibles, qui, à terme, mettra en danger le secteur, en renchérissant les prix, tout en baissant la qualité du service.

« C’est comme cela que l’on a protégé les taxis, ce qui a entraîné une chute de la qualité de service et une hausse des prix, rappelle-t-on à la Fédération française de transport de personnes sur réservation. Pour assurer la qualité de service et la fluidité du nombre de chauffeurs, il faut laisser le dispositif le plus ouvert possible… »

Cette vision n’est pas partagée par les chauffeurs de VTC, qui cherchent à l’image des taxis, à limiter la précarité au sein de leur profession. En restreignant leur nombre, ils rétabliront le rapport de force qu’ils ont avec les plates-formes. Et puis, assure-t-on au gouvernement :

« Tous les chauffeurs sous statut Loti pourront devenir, s’ils ont au moins un an d’expérience, des chauffeurs VTC. »
« Tout le monde sait aujourd’hui qu’il faut six mois pour obtenir, en Seine-Saint-Denis, sa carte de chauffeur de VTC, commente un acteur du secteur. Quand plusieurs milliers de chauffeurs Loti vont venir taper à la porte du fonctionnaire qui en est chargé, cela va être une catastrophe. Beaucoup vont être, du jour au lendemain, dépourvus du droit de circuler… »

« Uber aura les reins les plus solides »

Et puis, grâce au statut Loti, certains chauffeurs ont pu passer de simple salarié à celui d’entrepreneur. « C’est une voie de promotion sociale possible. Ils peuvent entrevoir une carrière. La loi va leur fermer ces perspectives », regrette-t-on chez un acteur du secteur.

Autre conséquence néfaste pour les plates-formes françaises de VTC, en restreignant brutalement l’accès au statut de chauffeur VTC, le grand gagnant risque d’être Uber. « On va vers un duopole G7-Uber. Chez les VTC, Uber aura les reins les plus solides pour attirer le plus de conducteurs… », critiquent plusieurs concurrents.

Alors que le Sénat devait dans un grand élan prendre fait et cause pour la proposition de loi Grandguillaume, onze sénateurs de la majorité sénatoriale en ont décidé autrement. Dans une tribune au Figaro.fr, onze sénateurs de la droite et du centre dont Louis Nègre (LR) ont pris fait et cause pour les plates-formes de VTC.

Pour eux, « cette loi a été proposée sur la base d’un diagnostic erroné : elle s’oppose au choix du consommateur, à la création d’emplois et à la nécessité de rechercher des nouveaux modèles de mobilité pour décongestionner les centres-villes. » Dès lors, ils « veulent rééquilibrer le texte qui sera présenté au Sénat, afin qu’il soit juste. Mettons un clap de fin à ces hostilités Taxis-VTC. Ce marché est en plein essor, laissons-le se développer. Et puis, comme disait Victor Hugo : « Rien ne résiste à une idée dont le temps est venu ».