Après le bombardement d’un bâtiment dans lequel se tenait une cérémonie funéraire, le 8 octobre 2016, à Sanaa. | MOHAMMED HUWAIS / AFP

L’Organisation des Nations unies (ONU) a annoncé, lundi 17 octobre, l’instauration d’un cessez-le-feu renouvelable de soixante-douze heures pour l’ensemble du Yémen, à partir de jeudi matin, dans l’espoir de régler un conflit qui a fait près de 7 000 morts en dix-huit mois, et provoqué une grave crise humanitaire.

Pour Franck Mermier, ancien directeur du Centre français d’étude yéménites et actuel directeur de recherches au CNRS, la « guerre piétine » et la « solution militaire envisagée » par l’Arabie saoudite s’éloigne de plus en plus.

Pensez-vous que cette trêve de 72 heures puisse déboucher sur une résolution du conflit ?

Il est difficile de se prononcer d’une manière certaine. Les précédentes expériences de cessez-le-feu et les pourparlers de paix n’ont pas débouché sur une solution pacifique mais ce qui est certain aujourd’hui c’est que le conflit entre dans une phase particulière. Il y a une pression plus forte de la part des Etats-Unis et du Royaume-Uni pour que l’Arabie saoudite aille vers un compromis. Dimanche dernier, les ministres des affaires étrangères des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis se sont réunis à Londres pour réclamer un cessez-le-feu. Cette réunion a été précédée d’un épisode sanglant, le bombardement le 8 octobre à Sanaa d’une cérémonie funéraire qui a fait 140 morts. Cela a provoqué une réaction de la part des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne concernant leur engagement militaire vis-à-vis de l’Arabie saoudite. Cette attaque est plus qu’une bavure. Les organisations humanitaires parlent d’un crime de guerre.

A l’intérieur de la salle visée par le raid aérien, il y avait de nombreux acteurs de l’élite économique et politique du pays, des personnalités militaires et politiques proches de l’ancien président Ali Abdallah Saleh, des chefs de tribu et des personnalités modérées comme l’ancien gouverneur de la capitale, Abdel Qader Hilal. Ce bombardement a suscité un fort sentiment d’indignation qui a été canalisé politiquement par l’ex-président Ali Abdallah Saleh et ses alliés houthistes. Le nombre élevé de victimes, la présence parmi elles de nombreuses personnalités, le caractère quasi profanatoire de cet acte de guerre et sa localisation dans la capitale ont suscité une plus grande réaction que les raids précédents ayant visé des cibles civiles, telles que des hôpitaux, et ont fait s’accentuer la pression sur l’Arabie saoudite.

Les négociations de paix ont été interrompues le 6 août dernier. Pour quelles raisons ?

La guerre en cours est un conflit entre deux pôles politiques qui revendiquent chacun d’être le pouvoir légitime du Yémen. Après l’échec des pourparlers, la coalition Saleh-houthistes a créé un nouvel organe politique pour diriger les territoires sous son contrôle : le Conseil politique suprême. La résolution 2216 des Nations unies, adoptée en avril 2015, exige que les troupes de cette coalition se retirent des zones sous leur contrôle et que le pouvoir du président Hadi soit rétabli, alors que celui-ci est exilé à Riyad. Cela signifierait pour les houthistes et l’ex-président Saleh qu’ils reconnaissent leur défaite. L’instauration d’un gouvernement d’union nationale est aujourd’hui la seule issue pour résoudre ce conflit de manière pacifique. Il n’est cependant pas certain que l’Arabie saoudite accepte un partage du pouvoir qui inclurait l’ex-président Saleh, dont on connaît la capacité de nuisance, et la tendance dure du mouvement houthiste.

Pour les Saoudiens, ce conflit est très négatif en termes économiques. Il faut à la fois financer la campagne de bombardements, former et équiper les troupes yéménites fidèles au président Hadi, et financer son administration. Mais le sacrifice financier est moins lourd pour l’Arabie saoudite que le fait de maintenir une zone d’influence. C’est un pays avec lequel elle partage une frontière, un pays qui possède un accès à la mer Rouge et à l’océan Indien. Le Yémen peut aussi être un exportateur de terroristes. Et après Damas et Bagdad, les Saoudiens n’accepteront pas qu’une autre capitale tombe dans l’escarcelle iranienne.

Quelle est la situation militaire sur le terrain ?

La guerre piétine, la situation humanitaire est dramatique et la solution militaire envisagée par l’Arabie saoudite semble lointaine. Si ce n’est la reprise de quelques territoires dans le Sud, la coalition n’enregistre pas d’avancées significatives. La reprise du Sud a pu se faire parce que la coalition s’est alliée avec une partie des combattants sudistes, dont une partie réclame l’indépendance de la région. Cette conjonction des forces est loin de se faire ailleurs. D’autant que les combattants du Sud renâclent à aller combattre les rebelles houthis dans le Nord.

Ce conflit n’est pas une guerre entre le Nord et le Sud ou entre chiites et sunnites, c’est une guerre de succession entre les différents partis et acteurs qui constituaient, avant 2011, le régime Saleh dont le vice-président était, à l’époque, Abd Rabbo Mansour Hadi. Après sa décomposition, ils sont entrés en conflit. Puis, d’autres forces comme les houthistes, les combattants du Sud, les salafistes y ont pris part pour défendre leurs propres intérêts.

Carte du Yémen | Google map

Quel rôle jouent les djihadistes d’Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) et ceux de l’organisation Etat islamique dans le conflit ?

En avril 2015, AQPA s’est emparé d’Al-Mukalla dans le Sud puis de localités dans la région d’Abayan, le fief du président Hadi, mais l’organisation en a été chassée en avril dernier. AQPA a subi de très gros revers d’autant plus que les djihadistes sont combattus à la fois par les pro-Hadi et par les houthistes. Aujourd’hui, l’organisation subsiste mais ne contrôle plus que des petits bouts de territoire. Quant aux djihadistes de l’EI, ils se sont manifestés dans le Sud par des attentats mais ils ne possèdent pas de territoire, leur influence est donc marginale sur le cours du conflit.