WikiLeaks n’a pas vraiment d’amis. Tout au plus Julian Assange, le fondateur de l’organisation spécialisée dans la publication de documents confidentiels, considère-t-il, en bon stratège, que les ennemis de ses ennemis sont ses amis. Les médias de masse ? Des amis, tant qu’ils aident WikiLeaks à rendre publics les crimes de l’armée américaine. Des traîtres, ensuite, lorsqu’ils sont en désaccord avec M. Assange.

Edward Snowden ? Un alter ego, presque un frère, explique Julian Assange, lorsque le lanceur d’alerte révèle son identité – à tel point que WikiLeaks l’a aidé à rallier Moscou depuis Hongkong. Pourtant, lorsque M. Snowden, auréolé de ses révélations sur le système de surveillance de masse d’Internet mis en place par les Etats-Unis, se permet de critiquer la manière dont WikiLeaks publie ses documents, la réponse claque, cinglante : « L’opportunisme ne vous fera pas obtenir une grâce de Clinton. »

Alliances de circonstance

En matière d’opportunisme, WikiLeaks fait pourtant figure d’expert. L’organisation a toujours su, avec un certain sens politique, tirer parti d’alliances de circonstance pour faire avancer sa cause et celle de son fondateur. Ce dernier a, par exemple, accepté l’asile en Equateur – un pays dans lequel des documents publiés par… WikiLeaks ont aidé à montrer l’ampleur des attaques contre la liberté de la presse.

Il y a aussi une grande part d’opportunisme dans le soutien de WikiLeaks à la candidature de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. Depuis l’investiture de ce dernier, WikiLeaks fait – sans grande subtilité – ouvertement campagne pour le candidat républicain.

Et pas uniquement en publiant des documents sur sa rivale démocrate, Hillary Clinton, mais aussi en relayant des messages favorables à M. Trump, en appuyant son discours sur les « médias corrompus », et en cherchant sans relâche les erreurs et les mensonges dans les propos des soutiens de Mme Clinton.

Pourtant, ce soutien quotidien au candidat du Grand Old Party (GOP) est très récent. En septembre 2015, Julian Assange décrivait Donald Trump comme un homme « encore plus belliqueux » que Hillary Clinton, surfant sur un « nationalisme grotesque ».

Que s’est-il passé dans l’intervalle ? Hillary Clinton a obtenu l’investiture démocrate. WikiLeaks n’a jamais caché son hostilité envers la candidate, qui dirigeait la diplomatie américaine lorsque l’organisation a publié, avec plusieurs médias dont Le Monde, ses révélations sur les télégrammes diplomatiques américains.

Bernie Sanders, « candidat de cœur »

Pendant des mois, c’est à Bernie Sanders, le rival démocrate à l’investiture de Mme Clinton, qu’allaient les faveurs de WikiLeaks. Il était le « candidat de cœur » de l’organisation, l’homme du changement.

Populaire, parfois populiste, Bernie Sanders promettait, à sa manière, de « hacker le système », de révolutionner la politique tout comme WikiLeaks veut révolutionner l’information. Sa campagne acharnée contre Hillary Clinton, c’était aussi David contre Goliath, un combat dans lequel pouvait s’identifier WikiLeaks du fait de son conflit au long cours contre le département d’Etat américain.

Les supporters de Bernie Sanders avaient bien compris – avant même que WikiLeaks ne le prouve en publiant des courriels du Comité national démocrate – que les institutions du parti avaient sabordé la campagne de M. Sanders. Il y avait une alliance objective entre la gauche du parti démocrate et l’organisation de Julian Assange. Lors des conventions et des divers déplacements du sénateur du Vermont, ses partisans affichaient des banderoles de soutien à WikiLeaks.

Mais depuis plusieurs mois, les messages de défense de l’organisation n’émanent plus de la gauche de la gauche. C’est la droite de la droite qui a pris le relais. Dernier soutien en date : celui d’un élu républicain de Caroline du Sud à la Chambre des représentants des Etats-Unis, Jeff Duncan, issu du Tea Party, qui a remercié, lundi 17 octobre, WikiLeaks de « faire le boulot que les médias de masse ne font pas ».

En résonance avec une partie de l’électorat républicain

M. Duncan est le dernier d’une longue série de responsables républicains ultraconservateurs, qui appelaient, il y a quelques années, à envoyer Julian Assange à Guantanamo, et qui voient dorénavant WikiLeaks comme leur meilleur allié pour sauver la campagne désastreuse de Donald Trump. Désormais, ce sont d’ailleurs surtout des militants républicains qui partagent et commentent ses révélations sur Twitter.

C’est, somme toute, assez logique : le discours de l’organisation, ses dénonciations des médias de masse, ses critiques contre l’oligarchie démocrate et son talent pour sous-entendre – et occasionnellement prouver – l’existence de complots d’Etat entre en parfaite résonance avec une partie de l’électorat républicain. Hier les supporters du Tea Party, aujourd’hui ceux de Donald Trump, voient dans l’état fédéral une clique d’intrigants qui complotent contre les « vrais Américains », en s’appuyant sur des médias serviles.

Face au déluge continu de révélations embarrassantes, les démocrates pensaient avoir trouvé la parade : la carte russe. WikiLeaks serait le pantin de Moscou. Julian Assange, un espion digne des meilleurs James Bond.

Goût prononcé pour les techniques de déstabilisation

Certes, il est possible, et même probable, que les documents du Comité national démocrate publiés par l’organisation proviennent d’un piratage orchestré par un groupe proche du Kremlin. Mais il serait naïf de croire que WikiLeaks est une émanation de la guerre froide.

Le principal point commun entre Moscou et WikiLeaks est un goût prononcé pour les techniques de déstabilisation. La Russie est passée maître dans une forme de guerre de communication visant à montrer aux Américains que leurs élites et leurs institutions sont corrompues.

Julian Assange écrivait, il y a dix ans déjà, un manifeste dans lequel il expliquait que la meilleure manière de détruire une institution consistait à multiplier les fuites, pour conduire celle-ci à s’autocensurer en permanence et rendre ainsi son fonctionnement impossible.

Le Kremlin et WikiLeaks partagent donc un certain goût pour ces méthodes. Mais si la tentation est grande, outre-Atlantique, de voir dans Julian Assange une marionnette des services secrets russes, ce serait une lecture très réductrice. Car Vladimir Poutine n’est pas un ami de WikiLeaks. Juste un ennemi de Hillary Clinton.

Damien Leloup

  • L’accès à Internet de Julian Assange est désormais restreint Le gouvernement de l’Equateur a reconnu, mardi 18 octobre, avoir restreint l’accès à Internet du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, qui vit reclus dans l’ambassade du pays au Royaume-Uni depuis quatre ans. Dans un communiqué, le ministère équatorien des affaires étrangères a précisé qu’au cours des dernières semaines WikiLeaks a publié une importante quantité de documents qui ont un « impact » sur la campagne électorale aux Etats-Unis. Or, fait-il valoir, l’Equateur « respecte le principe de non intervention dans les affaires d’autres pays, ne s’immisce pas dans les processus électoraux en cours, ni ne soutient un candidat en particulier ». Les Etats-Unis ont pour leur part démenti les allégations lancées par WikiLeaks selon lesquelles le secrétaire d’Etat John Kerry aurait demandé à Quito de couper la connexion Internet de Julian Assange.