Documentaire sur Arte à 22 H 30

L’artiste Seo dans son atelier. | Martina Müller

Les documentaires consacrés au marché de l’art souffrent tous du même défaut : la tentation du sensationnel, qu’on privilégie à la réalité du terrain. Celui-ci ne fait pas exception, même si, réalisé par l’Allemande Martina Müller, il peut offrir un point de vue un brin décalé et des informations inédites au spectateur français. Son titre indique la couleur : L’Argent, le pouvoir, l’art. La question est posée dès le début, par le biais d’un tee-shirt frappé du slogan : « C’est terrible d’être récupéré par le marché de l’art, mais ça l’est encore plus de ne pas l’être ». Interrogée sur l’alternative, la jeune artiste d’origine coréenne Seo préfère visiblement la deuxième option.

D’emblée, le documentaire promet beaucoup : l’art serait devenu une marchandise qui attire l’argent sale. De ce dernier, il sera hélas pourtant peu question. Pas de la part en tout cas d’un des premiers interviewés, l’excellent collectionneur Harald Falckenberg, qui a l’air de s’amuser beaucoup des questions qu’on lui pose. Malicieux, il explique qu’il « y a tellement de subtilités qui entrent en jeu lors de l’achat d’œuvres d’art » qu’elles échappent à beaucoup. D’où le recours de certains collectionneurs à des « conseillers artistiques ».

Commissions exorbitantes

Le portrait dressé de cette profession particulière est d’autant plus terrifiant qu’il débute par le procès de l’un d’entre eux, Helge Achenbach, condamné à six ans de prison pour avoir escroqué un couple d’héritiers d’une chaîne de grands magasins, auquel il aurait pris des commissions exorbitantes. C’est un des bons moments du film avec le témoignage d’une chroniqueuse judiciaire dont la description des victimes est des plus savoureuses : madame n’aimait pas le Picasso, mais s’y était habituée à cause du joli cadre. On pense à ce défunt antiquaire parisien qui disait avoir fait fortune grâce à l’inculture de ses clients…

L’autre aspect intéressant, c’est le regard que portent les responsables de musées sur la montée en puissance et l’interventionnisme des collectionneurs privés. L’un d’eux admet ainsi qu’une exposition consacrée à Karl Lagerfeld lui a été imposée. Mais aussi qu’il en avait besoin pour faire de l’audience. Ses budgets vont en se réduisant, et les frais d’assurance augmentent au prorata de la valeur des tableaux qu’il expose. Lesquels appartiennent pour beaucoup à des privés, qui les ont mis en dépôt. Par altruisme ? Pas nécessairement : les frais sont à la charge du musée et, au bout de dix ans d’exposition publique, la loi allemande permet d’exempter de droits de succession les œuvres qui ont été par ailleurs valorisées par leur présence dans l’institution… Raison pour laquelle certaines grandes marques de luxe ont créé leur propre structure. Il est ainsi question de la Fondation Louis Vuitton, à Paris, et de l’influence que de tels écrins peuvent avoir sur la production artistique elle-même : l’art devient à leur contact « plus spectaculaire, plus monumental, plus décoratif aussi », constate l’économiste Christophe Rioux.

La toile « Nu couché », considérée comme une des œuvres majeures du peintre italien Modigliani , a été adjugée pour 170,4 millions de dollars lors de la vente aux enchères « La muse de l’artiste » chez Christie’s à New-York en Novelbre 2015. | Martina Müller

Et celui qui pense encore trouver refuge dans le temple des grandes biennales d’art contemporain, comme celle de Venise par exemple, pour y trouver un peu de culture non mercantile, voire de la pensée, doit aussi déchanter : les marchands y sont en force et les mégacollectionneurs comme François Pinault y font la loi. Déprimant au point qu’on voudrait embrasser l’historienne d’art Julia Voss qui rappelle, enfin, que « beaucoup de galeries arrivent à peine à tenir la tête hors de l’eau et que bien des artistes luttent pour survivre ». Statistiquement, la réalité du marché de l’art, c’est ça.

L’Argent, le pouvoir, l’art, de Martina Müller (All., 2016, 50 min).